mercredi 27 octobre 2021

EPILOGUE

 8,8 et 9 : les frères de la jeune femme

 Nous avons une petite sœur qui n’a pas encore de poitrine. Que ferons-nous de notre sœur, le jour où on la réclamera ?

 L’épreuve par laquelle est passée la Sulamite ne l’a pas seulement révélée à elle-même, mais aussi à ses frères. Jusqu’alors, le Cantique témoigne que ceux-ci n’avaient pas beaucoup de respect pour elle. Nous les voyons au début du livre irrités contre elle : Cantique 1,6. Sa résistance envers Salomon, la fidélité de son amour pour son berger, l’ont grandi à leurs yeux. Leur revirement nous fait penser à celui des frères de Jésus. Incrédules à son sujet au commencement de son ministère public : Jean 7,4 et 5, nous les retrouvons avec les disciples, réunis dans la chambre haute dans l’attente de la venue de l’Esprit : Actes 1,14. La détermination de Jésus dans l’amour a eu raison de leurs réticences.

 Ayant connu de près le parcours de leur sœur pubère, ils se soucient de celle qui n’est encore qu’une enfant. Ils savent que l’état dans lequel elle se trouve ne va pas durer. Un jour, sa poitrine se formera. L’enfant deviendra une jeune fille qui attirera, à cause de ses charmes, de nombreux courtisans. « Que ferons-nous ? », s’interrogent les frères. « Allons-nous la laisser livrer le combat de la conquête de son cœur, seule ? » Les frères sont déterminés : il n’en est pas question. Les luttes et la victoire remportée par la Sulamite ont réveillé leurs consciences. Ce réveil a provoqué chez eux un changement de mentalité qui les amène à comprendre la responsabilité qui est la leur envers leur jeune sœur. Ils seront pour elle ce que Caïn a refusé d’être pour Abel, son cadet : ses gardiens : cf Genèse 4,9. Que cet état d’esprit soit aussi le nôtre, entre frères et sœurs dans l’Eglise !

Si elle est un rempart, nous construirons sur elle des créneaux en argent ; si elle est une porte, nous la fermerons avec une planche de cèdre.

La réflexion des frères de la Sulamite, au sujet de sa petite sœur, est un modèle du genre. Elle manifeste à la fois le respect qu’ils ont pour sa personne et le souci de sa protection. Les frères de la Sulamite n’adoptent pas à son égard une position arbitraire. Ils envisagent deux options et adaptent leur attitude à son égard en fonction de celle qu’elle démontrera. Si leur jeune sœur fait preuve de fermeté et de maturité dans cette question, elle peut savoir qu’elle peut compter sur eux pour la soutenir. Ils seront pour elle ce que sont des tours de guets, ou des créneaux pour un rempart. Un créneau est une ouverture contrôlée, pratiquée au sommet d’un rempart. Elle permet aux défenseurs des murailles de voir les assaillants et de tirer des projectiles. Si, en revanche, la jeune fille montre, par sa naïveté, une ouverture aux hommes trop grande, ils veilleront à la sauver d’elle-même en prenant les mesures qui s’imposent. L’esprit de responsabilité qui les anime est l’exemple même de celui qui devrait avoir cours dans la communion fraternelle. Il ne verse ni dans une ingérence trop forte, ni dans un laisser-faire coupable. Il incarne l’exhortation de l’Ecriture à ce sujet : « Exhortez-vous les uns les autres chaque jour, aussi longtemps qu’on peut dire : Aujourd’hui ! afin qu’aucun de vous ne s’endurcisse par la séduction du péché : Hébreux 3,13. » Heureuses la famille et la communauté qui font preuve à ce point de la préoccupation de ses membres !

 8,10 et 11 : la jeune femme

 Je suis un rempart et mes seins sont comme des tours. A ses yeux, j’ai été pareille à celle qui trouve la paix.

 Reprenant la rhétorique de ses frères, la Sulamite exprime le sentiment qui est le sien, parvenue au dénouement de son épreuve. Non ! Dans son for intérieur, elle n’était pas prête, comme une porte ouverte, à accueillir sans résistance les propositions flatteuses qui lui étaient faites. Son cœur était une place forte qui abritait un amour secret. Il n’avait pas de place en son sein pour un autre objet que lui. Cette volonté, la Sulamite l’a fait valoir en réservant ses charmes uniquement à celui qu’elle aime. Quiconque tenterait de s’en emparer devait s’attendre à une riposte nourrie et déterminée. La fermeté de la Sulamite, non seulement l’a rendue victorieuse, mais lui a assuré la paix. La position résolue qu’elle a adoptée l’a délivré des tiraillements qu’engendre l’indécision. Le roi a dû s’y résoudre : la belle jeune fille de la campagne qu’il voulait annexer à son harem ne sera pas à lui. Il va devoir s’y faire. Et s’il ne l’a pas encore compris, elle va le lui signifier clairement.

Salomon avait une vigne à Baal-Hamon. Il a confié la vigne à des gardiens : chacun apportait 1 000 pièces d’argent pour récolter son fruit. Ma vigne à moi, je la garde. A toi, Salomon, les 1 000 pièces d’argent, et 200 à ceux qui gardent son fruit.

En tant que souverain, Salomon avait l’habitude d’obtenir ce qu’il voulait. Il n’avait nul besoin d’ailleurs de s’occuper lui-même de ses affaires. Il déléguait la responsabilité de la gestion de ses biens à des serviteurs qui lui en rapportaient le fruit chaque année : 1 Rois 10,25. Il en était de l’or, des vêtements, des chevaux ou des armes de Salomon comme de ses femmes. Le roi envoyait ses émissaires un peu partout dans les pays environnants pour en acquérir de nouvelles : 1 Rois 11,1-2. Avec la Sulamite, le roi devra apprendre qu’il n’a pas à faire avec une femme qu’il peut acheter. Si belle, si désirable soit-elle, c’est elle seule qui décide à qui elle se donne. Prisonnière de l’amour qu’elle porte à celui qu’elle aime, elle se réserve à lui seul. Les serviteurs de Salomon, venus pour réclamer ce qu’il croit être son dû, en seront pour leur frais. Ils rentreront bredouille vers leur maître, porteur d’un message qu’il a besoin d’entendre. Une femme n’est pas une marchandise, un bien matériel. C’est un cœur, une âme, une personne. Aimer comme Salomon aime n’est pas aimer. C’est jouir, profiter, satisfaire des désirs. L’amour véritable est exclusif. On peut aimer des vêtements de différentes couleurs, des meubles faits de bois différent. Mais on aime entièrement un seul être. Quand bien même Salomon paierait le prix fort, il n’aurait pas la Sulamite. Elle est une femme libre d’aimer qui elle veut et tient à le rester. Que sa liberté courageuse nous inspire dans l’amour exclusif que nous portons à Jésus-Christ, notre bien-aimé.

8,13 : le berger

Habitante des jardins, des compagnons prêtent attention à ta voix. Fais-la moi entendre !

Le Cantique des cantiques ne pouvait se terminer sans que celui qui est l’enjeu du combat que la Sulamite a mené ne parle. Comme il en était des pensées de la jeune fille pour lui, ses pensées se portent vers elle. Elle est pour lui ce qu’Eve était pour Adam, dans le jardin des délices dans lequel Dieu les avait placés. A ce moment, Eve était tout pour Adam, la chair de sa chair, le bonheur de son cœur, le vis-à-vis qui allait combler sa solitude. La Sulamite est pour le berger qui l’aime l’habitante des jardins de son cœur. Il n’a qu’un désir : être auprès d’elle et entendre sa voix. Ce retour dans l’Eden primitif évoque un triste souvenir que la Sulamite peut effacer. Au jour où notre première mère prit la parole, ce fut pour entraîner son bien-aimé dans la désobéissance. Ils furent alors chassés du jardin et les anges veillèrent à leur en interdire l’accès. Ici, le berger, comme ses compagnons, guette sa voix pour écouter ce qu’elle va dire. Va-t-elle être une nouvelle Eve ou l’anti-Eve, cette compagne de l’homme qui ne vise que son bien ? Ou l’histoire du 1er couple humain va-t-elle se perpétuer sans que jamais l’objectif de l’amour, voulu par Dieu, ne triomphe de tout ?

La scène que présente le cantique des cantiques est une allégorie de l’histoire humaine. Si le 1er Adam et la 1ère Eve ont failli, il ne faut pas qu’il en soit ainsi pour les seconds. Jésus-Christ et l’Eglise sont ensemble la tête de la nouvelle humanité. Leur idylle ne se passe pas dans le secret, mais sous le regard des êtres célestes, les compagnons du bien-aimé : cf Hébreux 1,9. Amis de l’Epoux, ils se réjouissent avec lui de l’amour de l’Epouse et de leur future union. Non ! Le drame qui a inauguré l’histoire de l’humanité n'est pas éternel. Une histoire d’amour nouvelle a vu le jour. Saisi par l’amour, un peuple fait d’hommes et de femmes de toutes nations se prépare à vivre des noces éternelles avec le Bien-aimé de son cœur : Jésus-Christ. En ce jour, le ciel et la terre s’uniront dans une joie infinie et sans mesure. Que ce jour, qui conclura l’épopée humaine vienne bientôt !

Prends la fuite, mon bien-aimé ! Montre-toi pareil à la gazelle ou au jeune cerf sur les montagnes aux aromates !

Si la jeune fille a clairement signifié à Salomon à qui elle voulait se donner, elle sait que l’heure n’est pas encore venue où elle pourra pleinement jouir de son union avec celui qu’elle aime. Le temps présent n’est, de loin, pas débarrassé de tout danger. Elle appelle donc son bien-aimé, non à venir vers elle, mais à fuir vers les hauteurs parfumées de son domaine. Elle le rejoindra un jour dans ce lieu mais, pour l’heure, elle ne vivra son amour qu’en espérance.

La situation de la Sulamite évoque celle de l’Eglise, fiancée du Christ, dans le temps actuel. Affermie dans son amour pour lui au travers des épreuves qu’elle traverse, il ne lui est pas possible ici-bas de jouir pleinement du bonheur de son union avec lui. Son bien-aimé qui est venu la visiter, s’en est allé. Il est retourné dans son royaume glorieux. L’Eglise, quant à elle, vit toujours sur la terre. Le temps de son pèlerinage n’est plus celui du choix. Il est désormais celui de l’attente. Quand tous les royaumes de ce monde passeront, la domination sera remise à l’Elu de son cœur. Alors, belle comme une mariée resplendissante, l’Eglise paraîtra aux côtés de son céleste époux pour régner avec lui. Le temps de la consommation de toutes choses sera arrivé !

Ecoutons, pour conclure, le témoignage des pèlerins qui se sont approchés de ce jardin céleste qui nous attend :

« C’est un pays où l’air est fort serein et fort doux. Et, parce que c’était leur chemin, ils s’y arrêtèrent quelque temps pour s’y reposer et s’y rafraîchir. Ils entendirent sans interruption le chant des oiseaux. Chaque jour, ils voyaient sortir les fleurs de la terre et ils entendaient des sons délicieux. Dans ce climat, le soleil luit nuit et jour, car le pays est situé à l’opposé de la vallée obscure et bien loin du géant Désespoir. C’est là la frontière du ciel, et c’est ici que se renouvellent les promesses entre l’époux et l’épouse. Oui, c’est ici que :« Comme un jeune homme s'unit à une vierge, ainsi tes fils s'uniront à toi ; et comme la fiancée fait la joie de son fiancé, ainsi tu feras la joie de ton Dieu : Esaïe 62,5… Ils eurent donc, en marchant dans ce pays, infiniment plus de joie qu’ils n’en avaient eu pendant tout leur voyage, et, à mesure qu’ils approchaient plus de la ville, ils la voyaient plus distinctement. Et la gloire de cette cité était si grande que le Chrétien devint malade d’impatience d’y arriver. »

 Que cette impatience soit aussi la nôtre !

 

samedi 16 octobre 2021

SOMMET

8,5a : les filles de Jérusalem

Qui est celle qui monte du désert, appuyée sur son bien-aimé ?

La question posée ici par les filles de Jérusalem fait écho à celle qui débute la 3ème rencontre : Cantique 3,6. Lors de ce moment, les filles de Jérusalem avaient exalté la grandeur et la puissance du roi Salomon. Le but de la louange qui lui était adressé était d’ouvrir les yeux de la Sulamite sur le privilège qui serait le sien d’être la reine d’un tel roi. Celle-ci n’en a pas voulu. A l’endroit même où Salomon est apparu dans sa gloire, les filles de Jérusalem voient arriver un cortège beaucoup plus modeste. La Sulamite apparaît seule, appuyée au bras de son fiancé. Ici, point de vaillants hommes pour l’entourer, point de colonnes de fumée, de vapeurs de myrrhe, point de litière ornée d’or, d’argent et de broderie fine : cf Cantique 3,6 à 10. La seule parure de la Sulamite est le bonheur dont elle jouit d’être au bras de celui qu’elle aime. La joie de sa présence à ses côtés lui suffit, la comble. La jeune fille est au sommet de la félicité.

Alors que tant de choses leur sont proposées pour les combler, les élus de Dieu n’aspirent qu’à une seule. Comme il en est pour la Sulamite, leur béatitude n’est pas dans la possession de mille biens, mais dans la présence d’un seul être : Jésus, leur bien-aimé. Être avec lui leur suffit, ils ne demandent rien d’autre. Tout, dans ce monde, travaille à les détourner de lui ou à les conduire à l’oublier. Mais rien n’y fait. Qui a goûté à la saveur de l’amour de Jésus sait que rien ne lui procurera plus de bonheur. Notre fierté n’est pas d’être dans la cour des grands de ce monde. Elle est d’être dans le cortège nuptial du Fils de Dieu, appuyé sur son bras. Que ce jour de noces, qui conclura pour l’éternité la réalité de notre union avec lui vienne bientôt : cf Apocalypse 19,6 à 9.

8,5b à 7 : la jeune femme

Je t’ai réveillé sous le pommier. C’est là que ta mère est tombée enceinte de toi, c’est là qu’elle est tombée enceinte et t’a donné le jour.

Partie à la recherche de son bien-aimé, la Sulamite le trouve endormi à l’endroit même où sa mère l’a conçu : sous le pommier. Que faisait-il là ? Le récit ne nous le dit pas. Il souligne seulement le fait que c’est là où débuta sa vie que l’élue de son cœur le rejoint, dans le but de s’unir à lui pour toujours. Dans la perspective de leur union, les amoureux ont souvent besoin, de la part de Dieu, de confirmations avant de s’engager l’un envers l’autre. Cette nécessité est d’autant plus forte si, comme dans le cas de la Sulamite, l’entourage cherche à pousser la jeune fille dans les bras d’un autre homme que celui qu’elle aime. Nous pouvons compter sur la conduite de Dieu pour ne pas nous tromper dans ce domaine si décisif pour notre vie future. Le lieu où la Sulamite trouve son chéri ne peut que la réjouir. Là où il a vu le jour, là où la vie est née, là la providence leur a donné rendez-vous pour sceller leur union et perpétuer la vie. Si, pour tous les autres, le pommier du verger ne signifiait rien, pour eux il ne pouvait être qu’un clin d’œil du destin. Dieu, qui a tous les fils de notre vie en main, sait comment les arranger pour susciter des évènements porteurs de signification pour ceux qu’il conduit. Qu’il nous donne d’être sensible à sa direction, visible dans l’agencement des faits et des circonstances.

Fais de moi comme une empreinte (un sceau) sur ton cœur, comme une empreinte (un sceau) sur ton bras

Alors que, tout au long du Cantique des cantiques, la jeune fille doit lutter contre les assauts du roi qui veut gagner son cœur, elle comprend ici que son combat ne cessera pour elle qu’au jour où, dans celui de son bien-aimé, la signature de son nom sera gravée de manière indélébile. Dans la Parole de Dieu, le sceau que la jeune fille réclame, a toujours le même sens. Il est le symbole et la marque de la propriété. Le sceau du roi sur un document ou sur un objet témoignait aux yeux de tous que celui-ci émanait de lui ou lui appartenait. La jeune fille le dit ici : tant que celui qu’elle aime n’aura pas marqué son nom sur son cœur et sur son bras, elle ne sera pas libre à l’égard des autres prétendants qui la voudront pour eux.

Nous le savons, mais il est toujours bon de nous en rappeler. Le salut de notre âme ne vient pas de nous, mais de ce que le Christ, notre Sauveur et notre Bien-aimé a fait pour nous. Dans son amour, dit Paul aux Ephésiens, il nous a choisis dès avant la fondation du monde : Ephésiens 1,4. Ce choix que Dieu a fait de ses élus n’est connu que de lui seul. Avant même que ceux-ci le sachent, il a gravé leurs noms dans son cœur. Pour que le salut des choisis soit effectif, l’élection ne pouvait rester secrète. Il fallait qu’à la vue de tous, la marque de leur nom soit imprimée sur le bras de Dieu. Cette marque visible du salut sur le bras de Dieu s’est faite à la croix du Calvaire. Là, le Christ, notre Berger, donne sa vie pour le salut de ses brebis : Jean 10,11. Par la croix, ceux qu’il a choisi d’avance sont justifiés : Romains 8,29-30. Le nom des rachetés inscrits sur son cœur le sont sur son bras et ses mains.

Revenons à la demande que fait la Sulamite. En quoi le fait d’avoir son nom imprimé sur le cœur et le bras de son bien-aimé garantit-elle sa sécurité ? Un verset du prophète Esaïe, au sujet de Sion, y répond :

« Voici, dit Dieu à Sion, je t’ai gravé sur mes mains. Tes murs sont constamment devant mes yeux : Esaïe 49,16. »

« Je t’ai gravé sur mes mains. Par conséquent, il est impossible un seul instant que je t’oublie. Tu es à moi. Tu es ma propriété pour toujours. Et chacun qui voit cette marque le sait. » D’où viendront, pour la Sulamite, le repos et la sécurité dont son cœur a besoin au sujet de son amour ? Est-elle dans la force de ses sentiments, dans la lutte qu’elle mène pour rester attachée à son bien-aimé ? Non ! Elle se trouve dans l’acte qui atteste que, désormais, elle ne s’appartient plus, mais qu’elle est à son bien-aimé. La même sécurité, dit Paul, est offerte, à ceux qui, dans la Nouvelle Alliance, sont les objets de l’amour rédempteur du Christ :

« Vous avez été marqués, dit Paul, par l’empreinte, le sceau du Saint-Esprit qui avait été promis. Il est le gage de votre héritage en attendant la libération de ceux que Dieu s’est acquis pour célébrer sa gloire : Ephésiens 1,14. »

Le salut des élus n’est pas garanti par la force de leur attachement à leur Dieu. Il l’est par la double signature de Dieu sur leurs vies. La 1ère, invisible, est le fondement de la seconde. La seconde est la confirmation de la 1ère. L’histoire d’amour qui s’est construite entre Dieu et nous est semblable à celle qui aboutit au mariage entre un homme et une femme. Elle commence dans le cœur et finit par une bague au doigt. L’alliance atteste aux yeux de tous que les époux ne sont plus libres, mais qu’ils s’aiment et sont l’un à l’autre pour toujours. Il y a dans le monde invisible deux marques qui sont un message clair pour les esprits : la marque des clous sur les mains de Jésus et la marque du sceau de l’Esprit dans le cœur des élus. Tout esprit qui les voit sait à quoi s’en tenir. Il sait qu’il n’a pas le pouvoir de ravir ses âmes à celui à qui elles appartiennent. 

Car l’amour est aussi fort que la mort…

Il y a, dans le monde et dans le cœur des hommes, deux puissances qui agissent avec une vigueur égale l’une à l’autre. Ces deux forces sont comme deux courants irrésistibles qui emportent inexorablement ceux qui sont dans leurs cours vers leur destin. Bien que totalement contraires, elles se ressemblent pourtant par le fait que les mêmes éléments s’y retrouvent. Ces deux passions, dit le Cantique, sont l’amour et la mort.

Cette vision binaire du monde est aujourd’hui ce qui est fondamentalement remis en cause. Au siècle de la tolérance, il n’est pas possible de classer les êtres de façon catégorique. Il ne nous faut pas penser en noir et blanc, mais en nuances de gris. La preuve actuelle la plus forte de ce relativisme ambiant se manifeste dans la théorie du genre. L’identité sexuelle des êtres n’est pas définie par la biologie, mais par les orientations de leurs désirs. Certains sont nés hommes, mais, dit-on, ils ont en eux une identité de femmes ou vice versa. D’autres se trouvent dans un flou plus grand encore. Ils sont des « fluid genders », des personnes indéfinies sur le plan sexuel, un matin homme, le lendemain femme. C’est oublier à quel point la nature humaine est corrompue et pervertie.

L’évangéliste Jean est peut-être celui qui, dans l’Ecriture, a le mieux défendu l’idée d’un monde binaire. Les hommes nagent, soit dans le courant de l’amour, soit dans celui de la mort. Dans la pensée de Jean, il n’y a que deux options possibles pour l’humain : être dans les ténèbres ou dans la lumière, aimer son frère ou le haïr, pratiquer la vérité ou le mensonge, la justice ou l’iniquité, être croyant ou incrédule, adhérer au Christ ou à l’Antichrist… La conception du réel de Jean se calque sur celle de Jésus qui disait : « celui qui n’est pas avec moi est contre moi, et celui qui n’assemble pas avec moi disperse : Luc 11,23. » Rien cependant n’atteste autant la radicalité du choix auquel nous sommes confrontés que la croix où Jésus meurt. La prière faite par le Christ au jardin en témoigne :

« Mon Père, s’il est possible, que cette coupe (de douleurs et de souffrances que je dois boire pour le salut des hommes) s’éloigne de moi : Matthieu 26,39. » Autrement dit : « Mon Père, s’il est possible qu’une solution moins extrême, moins radicale, une solution qui n’exige pas le sacrifice et le dépouillement si entier de ma personne, soit trouvée, alors, épargne-moi. » Face à la réponse négative du Père, Jésus dira :

Mon Père, s’il n’est pas possible que cette coupe s’éloigne sans que je la boive, que ta volonté soit faite : Matthieu 26,42. » Non ! Il n’était pas possible que la mort soit épargnée par Jésus. Parce que, pour détourner ce courant qui allait emporter les hommes vers la destruction, il en fallait un plus fort que lui : le courant de l’amour de Dieu. 

La passion est aussi inflexible que le séjour des morts.

Roméo, de la famille des Montaigu, était tombé amoureux fou de Juliette, de la maison des Capulets. Pour leur malheur, les deux clans se haïssaient par-dessus tout. Mais la passion qui anime le jeune homme et la jeune fille est plus forte que tout. Par suite de multiples péripéties, Roméo, croyant Juliette morte, préfèrera se suicider plutôt que de continuer à vivre. Juliette, ayant appris la mort de Roméo, le suivra peu de temps après dans le tombeau. La tragédie shakespearienne bien connue est l’illustration de l’affirmation du Cantique des cantiques dans son sommet. Si la mort est intraitable avec ses victimes, la passion amoureuse l’est tout autant. Quel que soit le prix qu’il doit payer et les pressions qui s’exercent sur lui, le cœur qui aime est inflexible. Il ne se relâchera pas ni ne se détournera de l’objet de son affection jusqu’à ce qu’il ait atteint son but.

A de multiples reprises, l’Ecriture témoigne de la menace funeste que représente l’approche de la mort pour les justes. « Les liens de la mort m’avaient enserré, et les torrents dévastateurs m’avaient épouvanté ; les liens du séjour des morts m’avaient entouré, les pièges de la mort m’avaient surpris : Psaume 18,5-6. » Dans la circonstance, David ne devra son salut qu’au secours divin : Il est intervenu d’en haut, il m’a pris, il m’a retiré des grandes eaux, il m’a délivré de mon adversaire puissant, de mes ennemis qui étaient plus forts que moi : Psaume 18,17-18. » Seule la passion de Dieu pour David avait le pouvoir de le soustraire au sort inéluctable qui l’attendait.

Ce n’est pas pour rien que l’on nomme la souffrance rédemptrice vécue par Jésus, sa passion. Seule, en effet, une passion inflexible le rendra capable d’aller au bout de sa volonté de salut pour nous. Cette passion, nous la lisons, sur son visage tout au long de son parcours jusqu’à la croix. Evoquant le sujet, Esaïe dira : « Je ne me suis pas rebellé, ni esquivé. J’ai présenté mon dos à ceux qui me frappaient et mes joues à ceux qui m’arrachaient la barbe, je n’ai pas caché mon visage aux insultes et aux crachats. Cependant, le Seigneur est venu à mon aide. Voilà pourquoi je ne me suis pas laissé atteindre par les insultes, voilà pourquoi j’ai rendu mon visage dur comme une pierre… : Esaïe 50,5 à 7. »

Quelqu’un a noté avec justesse que, du prétoire à la croix, jamais nous ne voyons Jésus baisser la tête. Pour qu’il soit un sacrifice puissant et victorieux sur la mort, il fallait que l’engagement de Jésus soit total, volontaire et déterminé. Cette détermination du Christ se lit sur sa face, lorsqu’il choisit d’aller à Jérusalem au-devant de son destin : « Lorsque le temps où il devait être enlevé du monde approcha, Jésus prit la résolution de se rendre à Jérusalem : Luc 9,51. » Littéralement, on pourrait traduire : Jésus fixa son visage de façon solide.  La passion inflexible de Jésus a eu raison du courant puissant de la mort qui devait nous anéantir. C’est grâce à elle que nous vivons. Qu’à jamais, nous lui en rendions grâces dans l’éternité !

Ses ardeurs sont des ardeurs de feu, une flamme de l’Eternel.

Il n’est étrange pour aucun lecteur de l’Ecriture que la mort soit comparée à un feu ardent qui consume les rebelles. Jésus lui-même, jugeant les damnés, situe le lieu de leur séjour dans le feu éternel préparé à l’origine par Dieu pour le diable et ses anges : Matthieu 25,41. Ce qui est plus singulier   est l’idée que l’ardeur de la passion amoureuse brûle de la même flamme. Comment comprendre ces choses ?

Il n’est pas rare que, pour décrire Dieu, la Parole utilise l’image du feu. Alors que Moïse était dans le désert, il vit un buisson ardent en feu qui ne se consumait pas. S’approchant, il entendit une voix qui lui ordonna d’ôter ses souliers de ses pieds, car il se tenait sur une terre sainte : Exode 3,5. Pour que le feu de Dieu ne lui fasse pas de mal, Moïse devait respecter deux conditions : ne pas souiller le lieu où il se manifestait et se tenir à une distance raisonnable, salvatrice du feu de Dieu. Le feu de Dieu, par lequel Dieu s’est révélé à Moïse sans lui faire aucun tort, est le même qui est mentionné par Esaïe comme celui qui brûlera dans la géhenne les damnés : « Les pécheurs sont effrayés dans Sion, un tremblement saisit les impies : qui de nous pourra rester auprès d'un feu dévorant ? Qui de nous pourra rester auprès de flammes éternelles ? : Esaïe 33,14. »

Nous ne le saurons qu’au jour où nous serons dans l’éternité. Mais il n’est pas impossible que le feu de l’amour saint de Dieu, qui réchauffera le cœur des élus en éternité, soit le même qui consumera les perdus. Il y aurait là comme les deux faces d’une même réalité dans des applications contraires. Ecoutons ce que dit à ce sujet Norman Grubb, le neveu de Charles Studd :

« Le feu tel que nous le voyons dans le soleil, est la source de toute vie sur la planète. En soi, il est une puissance terrible de destruction. Si l’on viole les lois de la nature en l’approchant de trop près, on en est puni par la souffrance et la destruction. Et pourtant de cette source embrasée rayonnent toutes les merveilles et toutes les beautés, les couleurs et la chaleur de la lumière douce et bienfaisante. Sans feu, pas de lumière. Sans lumière, pas de vie sur la terre, car la lumière pénètre dans la nature entière pour la vivifier, nourrir, donner couleur et forme à toute chose… A côté du royaume de Dieu, s’est constitué par la révolte un autre royaume, celui du mal et du moi. Ce royaume est l’envers de celui de Dieu… Le royaume du moi se caractérise par des égos coupés de leur source. Ce sont des égos qui veulent être leur propre fin et satisfaire leurs convoitises. Le royaume du moi et du mal est un royaume rebelle à Dieu. C’est un royaume qui viole les lois éternelles de Dieu et qui se brûle au contact de sa volonté.

 Le feu vengeur de l’enfer fait partie de Dieu, c’est une partie intégrante inéluctable de Sa nature, car ce sont exactement les mêmes flammes qui brûlent dans l’amour au céleste royaume. Si Lucifer et ses armées, puis les hommes séduits par lui, ne s’étaient pas détournés du royaume de la lumière de Dieu vers le royaume de son feu, nul n’aurait jamais connu ni éprouvé le caractère féroce et infernal de ces flammes… Ceux qui sont dans l’étang de feu ne connaissent pas Dieu comme la douce et bienfaisante lumière du ciel, mais comme le feu originel caché, au sein duquel ils ont pénétré indûment. Ils ont plongé les mains dans le feu au lieu de se réchauffer à sa lumière… Le ciel et l’enfer sont en réalité les deux faces d’un même élément éternel : feu consumant de la vie qui est la nature de Dieu, qui brûle dans l’amour ou la colère, suivant que nous plongeons nous-mêmes dans l’un ou dans l’autre.[1] »

 Toutes choses, dans le monde présent comme à venir, trouve son origine en Dieu. Tout émane de lui et, par ce fait, reste lié à lui. Les élus de Dieu, objets de son amour, célébreront à jamais la passion dont le Christ a fait preuve pour leur salut. Car c’est de lui seul que vient leur rédemption.  « En Jésus-Christ, dit Tim Keller, nous constatons que, comme nous, Dieu fait réellement l’expérience de la douleur des flammes…[2] » Par sa mort, il s’est consumé pour que nous ne le soyons pas. Les maudits, quant à eux, découvriront avec douleur l’inanité de leur volonté d’autonomie à son égard. Le Dieu qu’ils auront voulu fuir sera la réalité éternelle et permanente qu’ils devront subir. « C’est pourquoi, dit l’auteur de la lettre aux hébreux, puisque nous recevons un royaume inébranlable, attachons-nous à la grâce qui nous permet de rendre à Dieu un culte qui lui soit agréable, avec respect et piété. Notre Dieu est en effet un feu dévorant : Hébreux 12,28-29. »

Les grandes eaux ne pourront pas éteindre l’amour, ni les fleuves le submerger

 Un seul élément, nous le savons, est capable de mettre un terme à la puissance dévastatrice du feu : l’eau. Il y a entre l’eau et le feu une impossibilité d’accord. Là où l’eau est absente, rien n’arrête le feu. Là où elle est déversée avec force, les flammes s’éteignent. Il y a un feu, cependant, contre lequel les grandes eaux sont impuissantes. C’est, dit la Sulamite, le feu de l’amour. L’expression que la jeune fille utilise ici pour décrire l’adversité qui cherche à tuer l’amour n’est pas nouvelle. Dans l’Ecriture, les grandes eaux symbolisent un courant contre lequel on ne peut lutter seul, telle une marée qui emporte tout sur son passage. David, qui est passé par là, témoigne qu’il ne dut son salut qu’à la main salvatrice de Dieu : Psaume 18,2. Les tentatives de séduction dont a été l’objet la Sulamite ne sont pas rien. Elles ont éprouvé son cœur, ses affections à l’extrême. La pression exercée sur elle suffisait à elle seule pour rompre les digues de son cœur. Mais la flamme que l’Eternel avait allumé en elle a tenu bon. Il en est de l’épreuve du juste comme de la mer. Ses limites sont fixées par Dieu. « J’ai dit : Tu pourras venir jusqu’ici, tu n’iras pas plus loin. Ici s’arrêtera l’orgueil de tes vagues : Job 38,11. » La fermeté dont a fait preuve la Sulamite n’est pas le fruit de sa force de caractère. Elle est la manifestation en elle de la présence toute puissante de Dieu, mise au service de l’amour. C’est cette même puissance qui, par l’Esprit de Dieu, habite en nous. L’amour ne meurt jamais : 1 Corinthiens 13,8.

Même si un homme offrait tous les biens de sa maison contre l’amour, il ne s’attirerait que le mépris

 La Sulamite apporte ici la conclusion morale de l’histoire qui forme la trame du Cantique. La leçon majeure qu’elle veut que nous retenions est que l’amour d’un cœur ne peut être acheté. L’amour n’a pas de prix et quiconque veut le monnayer n’a pas saisi sa valeur inestimable. La prostituée peut vendre ses charmes pour de l’argent. Mais ce qu’elle donne, ce n’est pas son cœur, mais son corps. L’amour est le don entier de sa personne à l’autre. Aussi ne peut-il être qu’un don entier, volontaire et gratuit. Le soudoyer contre des biens, fussent-ils les plus précieux, ne peut qu’en dénaturer l’esprit. Si l’être qui se donne à nous par amour nous est si cher, c’est que nous savons justement que nous ne pouvions rien payer pour jouir de sa tendresse et de son affection. Elles nous ont été offertes entièrement et c’est pour cette raison qu’elles n’ont pas de prix.

 Ce qui est vrai pour la relation conjugale l’est d’autant plus pour le lien qui nous attache à Dieu. Qui peut décemment penser qu’il peut acheter, d’une manière ou d’une autre, l’amour de Dieu ? Si une relation d’amour et d’affection peut exister entre l’être créé et son Créateur, elle ne peut se faire que sur la base du don et de la gratuité. A cause du péché, Dieu aurait pu choisir de garder pour toujours ses distances avec nous. Il ne l’a pas fait. Son amour l’a poussé à rétablir la communion rompue avec nous. Il n’a pu le faire qu’en nous donnant ce qui lui était le plus précieux : son Fils unique et éternel. Plus que tout autre, ce don avait pour son cœur une valeur inestimable. Aussi est-il impossible, à ceux à qui il est destiné, de le payer ou de le marchander. « Vous le savez, en effet, dit l’apôtre Pierre : ce n’est pas par des choses corruptibles comme l’argent ou l’or que vous avez été rachetés de la manière de vivre dépourvue de sens que vous avaient transmise vos ancêtres, mais par le sang précieux de Christ, qui s’est sacrifié comme un agneau sans défaut et sans tache : 1 Pierre 1,18-19. » Que, dans notre relation quotidienne avec Dieu, nous ne l’oublions jamais. Son amour pour nous est et restera à jamais un don de sa générosité. Je ne peux rien faire ni pour le monnayer, ni pour le mériter.



[1] Norman Grub : la loi de la foi : Edition Mission et Réveil (1969)

[2] Timothy Keller : la souffrance : Editions Clé


jeudi 9 septembre 2021

5ème RENCONTRE

 6,4 à 9 : le jeune homme

Tu es aussi belle que Thirtsa, aussi charmante que Jérusalem, aussi majestueuse que des troupes sous leurs étendards.

La 5ème rencontre entre le jeune homme et la jeune fille débute par une louange. Epris par sa beauté, celui-ci ne peut se retenir. Il faut qu’il lui dise l’effet qu’elle produit sur lui. C’est une caractéristique commune de l’amour. L’amour qui ne s’émerveille plus de l’autre est un amour qui s’est éteint ou refroidi. Sa restauration entraîne toujours la redécouverte de la beauté de celui ou celle qui en est l’objet. Pour lui signifier à quel point sa beauté le ravit, le jeune homme compare la jeune fille à deux villes : Thirtsa et Jérusalem. Le choix de ses deux villes ne relève pas du hasard. Thirtsa (qui signifie « plaisir » ou « beauté ») fut pendant 40 ans environ la capitale du royaume du Nord : 1 Rois 15,33, et Jérusalem constamment celle de Juda. C’est là que les souverains des deux pays avaient leur trône. En leur temps, les deux villes n’avaient nul besoin qu’on fasse d’elles leur éloge. Elles se distinguaient entre toutes comme des joyaux dans le pays. La métaphore parle d’elle-même. Pour le jeune homme, il n’y a, en termes de beauté, personne au-dessus de la jeune fille. Elle est la capitale de son cœur, celle qu’il chérit par-dessus tout. Son éclat et sa majesté la qualifie d’emblée pour être reine. C’est avec elle que le jeune homme veut régner. Tel est le désir de son cœur.

Détourne ton regard de moi, car il me trouble !

Epris de la jeune fille, le jeune homme lui fait ici une requête singulière. Gêné par le regard qu’elle porte sur lui, il lui demande de détourner les yeux pour ne plus avoir à l’affronter. Qu’est-ce qui trouble ainsi le jeune homme à ce point pour qu’il en vienne à formuler une telle pétition ? Des études psychologiques convergentes ont mis en lumière le fait que les personnes qui regardent les autres dans les yeux font preuve d’assurance et d’une grande confiance en elles. Elles ne sont ni intimidées, ni impressionnées par leur entourage. Les gens qui s’aiment et sont à l’aise les unes avec les autres se fixent du regard plus que de coutume. Elles ne ressentent ni méfiance, ni crainte, et communiquent l’idée qu’elles s’acceptent mutuellement.[1] La supplique du jeune homme est révélatrice d’une perturbation intérieure qui porte la marque d’un sentiment d’indignité. La beauté de la jeune fille la rend désirable à ses yeux. Mais il sent au fond de lui qu’il n’est pas digne d’elle. Sa personnalité exerce sur lui un ascendant qui le diminue et suscite en lui une forme de honte. Face à elle, il se trouve comme devant un miroir qui lui renvoie une image de lui-même qu’il ne supporte pas. Il n’a ni sa vertu, ni sa candeur, ni son innocence. Il le sait et la suite de ses paroles en témoigne.

Nous arrive-t-il face à une personne de souhaiter la même chose que le jeune homme ? D’un côté, nous aimons sa présence, nous l’admirons pour sa noblesse et la richesse de sa personnalité. Mais de l’autre, nous ressentons comme un malaise. Nous ne souhaitons pas que son regard nous sonde. La cause d’une telle appréhension tient toujours au péché. « Détourne ton regard de mes péchés », prie David après son adultère avec Bath-Shéba : Psaume 51,11. Le regard de Dieu, qui le connaît, qui a vu ce qu’il a fait, lui était insupportable. Apprenons à le laisser toiser nos vies. Il le fait, non pour nous accabler, mais toujours pour nous ramener sur la bonne voie : Psaume 139,23-24.

Tes cheveux sont pareils à un troupeau de chèvres bondissant sur les montagnes de Galaad. Tes dents sont comme un troupeau de brebis qui remontent du lavoir : chacune a sa jumelle, aucune d’elles n’est seule. Ta joue est comme une moitié de grenade derrière ton voile.

Amoureux de la jeune fille, le jeune homme ne peut se retenir de louer sa beauté. Il redit ici au sujet de son visage ce qu’il a déjà dit lors de la 3ème rencontre : Cantique 4,1-2. L’amour, dans les compliments qu’il nous pousse à exprimer à propos de l’être aimé, ne craint pas les répétitions. Ce qui est juste et agréable à entendre ne lasse pas. C’est pourquoi l’Ecriture aussi insiste tant sur le prix que Dieu attache à ses élus. Ils sont ceux avec qui il va passer l’éternité. Il veut qu’ils sachent à quel point la communion qu’il entretient avec eux est désirable. L’apôtre aussi, dans son amour pour ses frères et sœurs, n’a pas peur de se répéter. « Je ne me lasse pas de vous écrire les mêmes choses, dit-il aux Philippiens, et pour vous cela est salutaire : Philippiens 3,1. » Sommes-nous de ceux qui, régulièrement, disent aux autres combien et pourquoi nous les estimons ? Il y a ici un devoir et une exigence de l’amour mutuel.

Il peut y avoir 60 reines, 80 concubines et des jeunes filles en quantité incalculable, ma colombe, ma parfaite, est unique.

S’il y a un homme qui était en mesure d’évaluer la beauté de la jeune fille, c’était Salomon. A la fin de sa vie, le harem qu’il s’était constitué dépassait l’entendement. « Il eut, dit l’Ecriture, 700 princesses pour femmes et 300 concubines : 1 Rois 11,3. » Aussi, les chiffres qu’il mentionne ici ne sont pas aléatoires. Ils correspondent à la réalité de la situation qui est la sienne au moment où il écrit le Cantique des cantiques. Salomon est en pleine force de l’âge. Sa passion dévorante pour les femmes le pousse à s’unir à toutes celles qui l’attirent. Tous les rois de son temps faisaient, certes, de même. Mais la loi prévoyait qu’il devait en être différent pour le roi qui gouvernerait Israël. « Qu’il n’ait pas un grand nombre de femmes, dit Moïse, afin que son cœur ne se détourne pas de l’Eternel : Deutéronome 17,17. » La déclaration que fait Salomon ici à la jeune fille a beau être flatteuse. Elle ne peut que sonner faux à ses oreilles. Si la jeune fille est unique pour lui, il faut qu’elle le soit aussi dans les faits. Si elle est parfaite, il n’a nul besoin de s’attacher à d’autres. Quelle femme supporterait d’entendre son amant lui dire qu’elle est sa reine, alors qu’à côté d’elle, il en aime des dizaines ? Le trône du cœur ne peut être partagé, sous peine d’infidélité et de mensonge.

Prenons-nous conscience pour nous-mêmes de la portée de nos déclarations d’amour ? Subjugué par nos sentiments, nous pouvons exprimer les adulations les plus touchantes à l’adresse de l’être aimé. Si les faits démentent ce que disent nos paroles, nous sommes menteurs. Ce que Dieu aime par-dessus tout, c’est la vérité. C’est une vie, des attitudes qui démontrent la véracité de ce qui est affirmé. Jésus l’a souligné à ses disciples. La  est unique. marque d’authenticité d’une vie qui lui est offerte ne se situe pas au niveau des allégations formulées, mais dans une mise en pratique conséquente : Matthieu 7,21. Il n’y a rien de plus blessant pour un cœur que de lui déclarer sa flamme tout en brûlant aussi pour d’autres. La déception ne pourra être qu’à la hauteur de l’attente suscitée.

Elle est unique pour sa mère, elle est la préférée de celle qui lui a donné le jour.

C’est la 3ème fois que dans le livre, il est fait allusion à la mère de la jeune fille. A son début, celle-ci témoigne des rapports difficiles qu’elle entretient avec ses frères. A cause de sa couleur de peau, semble-t-il, les fils de sa mère (peut-être ses demi-frères), se sont irrités contre elle : Cantique 1,6. Cette première mention du milieu familial de la jeune fille indique qu’elle n’a pas grandi au milieu d’une fratrie bienveillante à son égard. La jeune fille évoque ensuite la maison de sa mère lors de la 2ème rencontre. Ayant trouvé son bien-aimé, après l’avoir cherché, elle ne le lâche plus. Elle le conduit à la maison de sa mère, dans la chambre nuptiale où elle a été enfantée : Cantique 3,4. Elle signifie par cet acte sa volonté d’être sa femme, la mère de ses enfants. Ici, la citation de la mère de la jeune fille est englobée dans la louange que lui adresse Salomon à propos de sa perfection. La jeune fille, dit-il, n’est pas au-dessus de toutes les autres seulement pour lui. Elle l’est aussi pour sa mère, bien que celle-ci ait eu d’autres enfants. L’attention que Salomon porte à ce fait démontre qu’il n’est pas anodin pour lui. L’appréciation qu’il a de la jeune fille rejoint celle de la femme qui la connaît le mieux : celle qui l’a enfantée. Se faisant, il donne ici une suggestion pleine de sagesse à tous les amoureux d’une jeune fille. Les futurs gendres auraient tout intérêt à la suivre. Quelle opinion a la maman de sa fille ? Quelle relation ont-elles entre elles ? Est-elle appréciée ou source de chagrin et d’inquiétude pour elle ? Une fille ne sera pas différente avec son futur mari que ce qu’elle a été pour sa mère. Une juste connaissance des attitudes de la personne aimée dans son milieu familial peut éviter bien des déconvenues dans l’avenir, si le futur conjoint y est attentif ! Cela vaut pour les filles, mais aussi pour les garçons !

Les filles la voient et la disent heureuse, les reines et les concubines aussi, et elles font son éloge.

Salomon tient à le dire : les raisons pour lesquelles la jeune fille est l’élue de son cœur ne tiennent pas qu’à lui. Dans sa famille, elle était déjà l’élue de l’affection de sa mère. Dans l’entourage du roi, toutes les femmes qui lui sont proches sont unanimes : la beauté de la jeune fille la rend digne d’être l’élue royale du souverain. Si le destin existe, manifestement la jeune fille n’a pas été créée pour se fondre dans l’anonymat. Elle a été faite à dessein pour une destinée précise et glorieuse. Si elle ne le voit pas, tous ceux qui la côtoient sont un sur le sujet. L’accord général de toutes les femmes sur ce point ne lui apporte-t-il pas la preuve suffisante pour la convaincre que là se trouve son avenir ?

Il est toujours important, dans une question qui se pose, d’écouter l’avis de ceux qui nous sont les plus proches. La même opinion, partagée par tous sur un sujet, est un point d’appui qui a son poids. La décision finale, cependant, n’appartient pas aux autres, mais à la personne concernée. Si celle-ci, malgré le nombre, a dans son cœur une conviction différente, c’est elle qui prime. Alors qu’il s’apprêtait à se rendre à Jérusalem, l’apôtre Paul fut averti par un prophète des tribulations qui l’attendaient. Poussés par leurs sentiments, ses compagnons le pressèrent de renoncer à son projet. Paul ne céda pas à leurs arguments. Convaincu que c’était là la volonté de Dieu pour lui, il monta dans la capitale juive où il vécut ce que l’envoyé de Dieu lui avait prédit : cf Actes 21,10 à 14. L’influence de l’entourage peut être le moyen de Dieu qui confirme ce que nous pensions déjà. Mais il peut aussi être un outil dont le Malin se sert pour nous détourner de la voie de Dieu : cf Matthieu 16,21 à 23. L’œuvre du Saint-Esprit dans le cœur des conseillers n’est jamais en désaccord avec celle qu’il fait dans celui qu’il cherche à diriger dans ses voies. A nous de discerner quelle voix s’adresse à nous dans tout ce que nous entendons !

6,10 : les filles de Jérusalem

Qui est celle qui apparaît, pareille à l’aurore, aussi belle que la lune, aussi pure que le soleil, (mais) aussi majestueuse (ou terrible) que des troupes sous leurs étendards ?

C’est la seconde fois, en peu de temps, que la jeune fille est qualifiée par son entourage de terrible : Cantique 6,4. La même expression est utilisée dans le livre du prophète Habakuk au sujet des Babyloniens : Habakuk 1,7. L’expression est si forte qu’elle souligne le contraste absolu entre la beauté de la jeune fille et son caractère. La jeune fille est attirante et désirable plus que tout, mais elle n’est pas manipulable. Elle fait preuve d’une fermeté et d’une inflexibilité redoutable. Nous sommes déjà bien avancés dans le scénario du livre. Salomon n’a pas lésiné sur les moyens pour tenter de séduire la jeune fille. Mais jusqu’ici, rien n’a marché. Sa résistance n’a pas été entamée. L’étendard sous lequel elle marche, telle une armée rangée pour la bataille, est l’amour : Cantique 2,4. Or, malgré toutes les flatteries et les propositions dont elle a été l’objet de sa part, elle ne l’a pas trouvé chez Salomon, C'est l’élu de son cœur qui l'a conquise. Ancrée dans ses résolutions, elle ne dérogera pas du parti qu’elle a pris. Ceux qui veulent l’en détourner l’apprendront à leur frais.

S’il y a une qualité dont doit faire preuve ici-bas l’Epouse de Christ, c’est une fermeté inébranlable au sujet de ses convictions. Le plus grand danger que court l’Eglise, sous l’influence des impies, est de déchoir de sa fermeté : 2 Pierre 3,17. Une Eglise incapable de faire preuve d’intransigeance sur certains points ne saurait perdurer. La fermeté du peuple de Dieu n’est pas de la raideur. Elle tient à la relation d’amour exclusive qu’elle entretient avec son Dieu. Son cœur ne peut battre pour lui et pour un autre en même temps. Le monde a besoin de trouver dans l’Eglise de Jésus-Christ à la fois la beauté de la sainteté et la fermeté de l’amour. Que tous ceux qui la côtoient soient marqués par ce double trait caractérisant la jeune fille.

Je suis descendu au jardin des noyers pour voir la verdure au fond du vallon, pour voir si la vigne pousse, si les grenadiers fleurissent. J’ignore comment, mais mon désir m’a poussé vers les chars de mon noble peuple.

La première scène du Cantique des cantiques s’ouvre sur l’entrée de la jeune fille dans les appartements du roi : Cantique 1,3. Elle prend en cours une histoire dont le début nous est relaté ici. Comment la jeune fille a-t-elle rencontré Salomon ? A quel endroit ? Dans quelle circonstance ? Elle nous le raconte maintenant. A l’origine, la jeune fille n’avait aucune volonté de lier connaissance avec le roi. Elle était juste sortie de chez elle pour voir où en étaient les arbres de son verger dans leur floraison. L’année serait-elle bonne ? La vigne et les grenadiers annonçaient-ils la promesse dans leurs bourgeons d’une récolte abondante ? C’est alors qu’elle faisait le tour de son jardin que sa curiosité a été éveillée. A quelques distances de là, les chars du roi traversaient la contrée. Qui, comme elle, ne se serait approché d’un tel spectacle ? Placée au bord du chemin, elle fut aussitôt remarquée pour sa beauté par le jeune roi. Il y eut de son côté comme un coup de foudre pour elle. Qui était cette jeune fille magnifique qui l’attendait là ? Entraînée malgré elle dans les filets de l’amour, elle s’est retrouvée soudainement au centre de toutes les attentions. Oui ! La jeune fille se souvient ! C’est ainsi que tout a commencé. Elle serait restée chez elle ce jour-là, rien de tout cela ne se serait produit.

Alors que nous nous trouvons dans une situation piégeuse avancée, il est bon de nous souvenir du commencement des choses. Avons-nous réellement choisi de nous trouver là ? Était-ce notre intention ? Ou quelque chose de plus fort nous a-t-il entraînés dans les ennuis que nous connaissons ? Quel que soit le chemin dans lequel Dieu nous veut, il ne nous y contraint jamais. Là où est l’Esprit du Seigneur, dit Paul, là est la liberté : 2 Corinthiens 3,17. Nous ne pouvons vraiment être nous-mêmes que lorsque c’est de façon délibérée que nous occupons la place qui est la nôtre. La maturité vers laquelle Dieu nous mène est une maturité de responsabilité. Elle consiste pour nous à assumer pleinement devant lui les choix que nous faisons. Aussi devons-nous refuser tout ce qui nous emporte contre notre gré dans des situations qui ne correspondent pas à ce qui se trouve dans notre cœur. La volonté de Dieu pour nous est toujours porteuse de joie et de paix. A ce stade d’évolution des choses, la jeune fille a raison de se retourner pour faire le bilan de ce qui lui arrive. L’origine des choses est un marqueur fiable pour juger de leur pertinence. Que Dieu, dans sa grâce, préserve notre liberté et nous donne la capacité de la retrouver si nous l’avons perdue. C’est ici notre premier besoin.

7,1a : les filles de Jérusalem

Reviens, reviens, Sulamite ! Reviens, reviens afin que nous puissions te regarder !

Ayant pris conscience du piège dans lequel elle se trouve contre son gré, la jeune fille n’a qu’une envie : fuir. Son destin, elle le sait, n’est pas à Jérusalem dans le palais lambrissé du roi. Elle est une fille de Sunem, un petit village de Galilée. C’est là qu’elle veut continuer à mener sa vie dans la discrétion et la simplicité, avec celui qu’elle aime. Les jeunes filles de Jérusalem tentent bien de la retenir. Elles la hèlent et lui font part de leur admiration. Mais le nom sous lequel elles l’appellent témoigne à lui seul de ses racines. Elle est une fille de la campagne, non de la ville. Elle est une paysanne, non une reine. Elle est, certes, très belle. Pour autant, sa beauté ne l’oblige pas à appartenir au souverain du pays. C’est à l’élu de son cœur qu’elle veut s’offrir, et à personne d’autre.

Quelle que soit la pression qui s’exerce sur nous, il est vital pour chacun de garder sa liberté de décision. Cette nécessité devra peut-être, à un moment ou un autre, nous obliger à fuir. Mais la fuite, dans ce cas, n’est pas un acte de lâcheté, mais de lucidité et de courage. Joseph, le fils de Jacob, pour l’avoir pratiquée, a sauvé sa vie et l’avenir de son peuple : cf Genèse 39,11-12. Personne, si puissant soit-il, n’a le droit de contraindre une âme à entrer dans des voies qu’elle réprouve au fond d’elle-même. Le libre choix est d’autant plus primordial lorsqu’il s’agit de mariage, d’union de corps et de cœurs pour la vie. Comment pourrait-on aimer si l’on n’a pas choisi la personne avec laquelle on va partager ses jours ? Que peut-on construire de solide et de satisfaisant si ce n’est pas sur la base d’un accord mutuel que l’on s’est engagé l’un envers l’autre ? Oui, Sulamite ! Tu as raison ! Fuis et recouvre ta liberté ! C’est à ce prix que ton bonheur sera assuré !

7,1b : le jeune homme ?

Qu’avez-vous à regarder la Sulamite comme la danse de deux camps ?

Repérée par le roi sur le bord du chemin pour sa beauté, la Sulamite, effarouchée, s’enfuit. Loin de la disgracier, son départ précipité ne fit qu’ajouter à l’effet que sa vision avait provoqué. Il suffisait de regarder dans les yeux de tous ceux qui étaient là pour constater l’ébahissement qu’avait suscité son apparition. Etait-ce bien une femme qui se trouvait là ? Ou, comme Jacob à Mahanaïm (qui signifie deux camps), était-ce un ange qui était venu à la rencontre du roi : cf Genèse 32,1-2 ? La démarche si gracieuse de la Sulamite dans sa fuite n’était pas une course, mais une danse. Séduites, les filles de Jérusalem se mettent à vanter les charmes de la belle.

7,2 à 8 : les filles de Jérusalem

Que tes pieds sont beaux dans tes sandales, fille de prince ! Les contours de tes hanches… œuvres des mains d’un artiste. Ton bassin… Ton ventre… Tes deux seins… Ton cou… Tes yeux… Ton nez… Ta tête… et les cheveux de ta tête… Un roi est prisonnier de boucles !

C’est la seconde fois dans le livre qu’une description est faite du corps de la jeune fille. Lors du premier tableau, le roi l’avait dépeint du haut en bas, de la tête à la poitrine : Cantique 4,1 à 5. Ici, les filles de Jérusalem brossent d’elle un portrait complet, allant des pieds à la tête. Le charme qu’elle opère sur elles est total. Il n’y a rien dans son corps qui ne suscite l’admiration. Certes, les métaphores utilisées sont nombreuses et peuvent paraître pour le lecteur moderne quelque peu extravagantes. Nous ne devons pas leur donner une valeur descriptive, mais suggestive. Les parties du corps évoquées par les jeune filles rappellent dans leur beauté des images d’animaux, de paysages ou de monuments qu’elles admirent dans le royaume. Les yeux de la belle sont comme les eaux bleutées et profondes des étangs de Hesbon. Son nez est comme la tour du Liban qui monte la garde face à Damas. La chevelure de la jeune fille est comme un rets duquel le roi est captif. Jamais personne n’a vu ni connu une femme avec un tel physique si bien proportionné. La fascination que la Sulamite exerce sur les filles de Jérusalem est sans pareille.

V 7 à 10 : le jeune homme

Que tu es belle, que tu es agréable, mon amour, au milieu des délices !

A quatorze reprises, le Cantique des cantiques célèbre la beauté de la jeune fille. La Sulamite est noire, mais elle est belle : Cantique 1,5. Sa couleur de peau, qui aurait pu lui nuire, ne l’a désavantagé en rien. La Sulamite est belle, parce qu’elle est sans défaut : Cantique 4,7. Il n’y a nulle part chez elle de détails physiques qui gâchent l’ensemble. Les filles de Jérusalem qui l’ont observé des pieds à la tête le confirment : elle les surpasse toutes. Si la beauté est ce qui caractérise la Sulamite, elle n’a pas que cette qualité. Elle est aussi une jeune fille agréable. Sa compagnie est plaisante. Son caractère n’est ni revêche, ni timoré. Certains, s’arrêtant à la beauté, pensent qu’elle suffit à faire leur bonheur. Ils déchantent vite en découvrant que leur bien-aimée est une personne invivable. Une femme qui a une taille de guêpe peut être une guêpe de taille. Il est bon que, dans tout ce qui nous attire vers une personne, l’esthétique ne soit pas le critère unique et déterminant. Avec le temps, la beauté se flétrit, mais le caractère reste et s’affirme. Nous devons désirer vivre avec une personne pour ce qu’elle est dans son être, non seulement à cause de ses charmes physiques. Heureux celui qui, comme le roi ici, trouve une femme belle et plaisante. Encore faut-il cependant que l’attrait et l’estime soient mutuels !

Ta taille ressemble au palmier, et tes seins à des grappes. Je me dis : « Je veux monter sur le palmier pour attraper ses grappes ! » Que tes seins soient comme les grappes de la vigne, le parfume de ton souffle comme celui des pommes, et ton palais comme un vin excellent !

Il n’est pas étrange que, séduit par la beauté de la Sulamite, le roi exprime le désir d’une relation intime avec elle. Créés êtres sexués, les hommes et les femmes sont faits pour s’unir. Ce désir est inscrit au plus profond de leur être. Le sentiment d’amour mutuel qui habite deux cœurs ne peut indéfiniment rester au stade du désir. Il a besoin de se concrétiser par l’union des corps. Les charmes dont Dieu a doté la femme excitent l’appétence de l’homme. Ils sont le moyen par lequel elle l’attire à lui et attache son cœur à sa personne. L’Ecriture le sachant, elle encourage les amants à ne pas se priver l’un de l’autre : 1 Corinthiens 7,5, mais à trouver leur plaisir dans les atours de leurs corps : Proverbes 5,19. Il est nécessaire qu’une jeune fille et un jeune homme apprenne à se connaître. C’est dans ce but qu’existent les fiançailles. Mais il n’est pas sage de faire durer trop longtemps ce temps où les sens de l’un et de l’autre sont émoussés par le désir. L’amour ne trouve son accomplissement que lorsque la jeune fille se donne à son aimé, et vice-versa. Le jeune roi ose ici exprimer ce désir. Le nier serait un mensonge. La liberté de l’amour permet de s’ouvrir sans crainte à l’autre. Une jeune fille qui se sait aimée ne trouvera rien de déplacé au fait d’entendre qu’elle est désirée. La Sulamite comprend le roi, mais son désir à elle la porte vers quelqu’un d’autre.

7,10 à 8,3 : la jeune fille

Il coule aisément pour mon bien-aimé et glisse sur les lèvres de ceux qui s’endorment !

La déclaration enflammée du jeune roi au sujet de la Sulamite est sans ambiguïté. Il n’a qu’une attente : connaître avec elle les délices de l’amour. Il s’imagine uni à elle, jouissant de ses charmes. Face à cette volonté clairement formulée, la jeune fille se doit de répondre. Où elle conforte le roi dans son désir brûlant, ou elle le refroidit pour toujours. C’est cette seconde option qu’elle choisit. Le roi avait comparé le plaisir qu’il attendait de la jeune fille à un vin du meilleur cru. Celui-ci, lui répond-t-elle, ne coulera pas pour lui, mais pour son bien-aimé. La jeune fille ne cède pas aux avances empressées du roi. Elle garde la ligne de défense qu’elle a adopté dès le début. Elle utilise les beaux mots que celui-ci lui adresse pour les orienter vers l’élu de son cœur. Il faut qu’il sache que, quoi qu’il dise ou veuille, rien ne la détournera de l’amour qu’elle porte à son bien-aimé. En réitérant ses propositions, le roi ne fera qu’augmenter sa déception.

La Sulamite est pour nous un modèle de conduite et de fermeté face à la tentation. Par sa façon d’agir, elle désarme le soupirant qu’elle ne veut pas et fortifie l’amour qui l’habite pour l’élu de son cœur. Elle nous rappelle que la tentation ne peut être vaincue que par le refus. Elle nécessite que le courant d’affection qui nous anime se porte vers un autre objet. Ce n’est pas seulement en disant non au diable que nous triompherons de lui, mais en proclamant avec force un oui ferme et entier pour Jésus. Il n’y a que l’amour qui ait la puissance intrinsèque de dévitaliser l’attrait de la séduction. La clé de la victoire ne se trouve pas à l’extérieur, mais en nous. Que nos cœurs ne battent que pour toi, ô Dieu, et nous resterons sourds aux appels du tentateur.

Je suis à mon bien-aimé et son désir se porte vers moi

Pour la 3ème fois dans le livre, la Sulamite proclame son appartenance à son bien-aimé : Cantique 2,16 ; 6,3. Elle confirme pour le dire la formulation de sa 2ème déclaration. Ses mots témoignent de l’état d’esprit qui l’habite. Elle ne se réjouit plus seulement du fait que son bien-aimé est à elle, mais sa joie la plus grande est de s’offrir à lui. Si le roi est enflammé de désirs pour elle, il n’est pas le seul. Son bien-aimé aussi la veut, et c’est à lui qu’elle veut se donner. Le fruit mûr de l’amour est prêt à être consommé. La décision de la Sulamite est soutenue par un oui entier et sans faille pour l’élu de son cœur, celui prononcé le jour du mariage.

Viens, mon bien-aimé, sortons dans la campagne pour passer la nuit au village !

Lors de la 2ème rencontre, le bien-aimé était venu depuis ses montagnes jusqu’à la chambre de la jeune fille pour l’inviter à sortir dans la campagne printanière avec lui : Cantique 2,8 à 14. La jeune fille s’était alors montrée nonchalante. Le jeune homme était reparti sans qu’elle ne l’accompagne. Les temps ont maintenant changé. Pressée par les avances brûlantes du roi, la Sulamite prend elle-même l’initiative d’inviter son bien-aimé à une sortie nocturne dans son village natal. Elle a compris que, pour être libre, elle ne peut rester dans une position de neutralité. Elle doit afficher aux yeux de tous qui est celui qu’elle aime et à qui elle veut se donner. Jusqu’à présent, elle a été sollicitée de deux côtés. Son cœur penchait vers le berger de ses amours. Elle se devait maintenant de ne plus garder cette inclinaison secrète. C’était là pour elle le seul moyen de faire passer un message clair à son courtisan obsédé. Non, elle ne veut pas de lui. Elle le démontre par le fait qu’elle-même va vers le fiancé de son cœur pour s’unir à lui.

Notre cœur n’est fait que pour une seule passion. Aussi doit-il être guéri de sa tiédeur qui le retient de s’engager pleinement et ouvertement. Pour se faire, Dieu utilise la pression qu’exerce le malin sur lui. Car lui aussi le veut pour lui. La liberté du croyant ne se trouve pas à mi-chemin d’une adhésion totale à la communion avec Christ. Elle est, telle celle de l’esclave à l’oreille percée : Deutéronome 15,12 à 17, dans le don sans réserve de sa vie pour lui et sa maison. Alors qu’Israël est partagé entre l’Eternel et Baal, le prophète Elie lui pose la question : « Jusqu’à quand clocherez-vous des deux côtés ? Si l’Eternel est Dieu, allez après lui ; si c’est Baal, allez après lui. Le peuple ne lui répondit rien : 1 Rois 18,21. » Il nous est impossible, sur le plan spirituel, de tergiverser indéfiniment entre deux allégeances. La balance de notre cœur doit pencher de manière résolue pour un côté. Que Dieu nous d’aimer Christ par-dessus tout sans mesure !

Dès le matin, nous irons aux vignes pour voir si la vigne pousse, si la fleur s’ouvre, si les grenadiers fleurissent. Là je te donnerai mon amour.

Déterminée à se donner à l’élu de son cœur, la Sulamite a tout planifié. Cette nuit sera la nuit de leur union. Ils la commenceront ensemble par une promenade nocturne romantique. Tous les deux, elle le sait, ont les mêmes centres d’intérêt. Ils sont des personnes de la campagne. Leur palais n’est pas fait d’ivoire et de lambris. Leur plaisir est de flâner dans la nature, de l’observer, de regarder la vie apparaître dans les rameaux de la vigne. Le printemps de la nature sera aussi celui de leur amour. La bien-aimée est désormais prête à franchir le pas qui la conduit à appartenir de manière irréversible à son chéri. Le roi voulait « monter sur le palmier de sa taille pour attraper les grappes de ses seins » : Cantique 7,9. Ce n’est pas à lui que son corps sera. L’amour ne consiste pas uniquement en un acte physique. Il est la fusion de deux êtres qui s’aiment et veulent se donner l’un à l’autre. L’union de corps n’est pas première. Elle est l’aboutissement de celle des cœurs qui, tels des aimants, s’attirent pour n’être qu’un. Or, c’est vers le berger de son cœur que se porte tout son attrait. Que Dieu nous donne de ne jamais oublier cet ordre primordial dans nos relations conjugales.

Les mandragores diffusent leur parfum, à nos portes se trouvent tous les meilleurs fruits, nouveaux et anciens. Mon bien-aimé, je les ai gardés pour toi.

La saison de l’amour est aussi celle de la vie. Elle est la porte d’entrée à un avenir commun porteur de fruits nouveaux. Le mariage d’un homme et d’une femme n’est pas seulement l’addition de deux potentialités. C’est une multiplication. Avant d’être uni, chacun des futurs époux a eu son propre parcours. Il s’est construit au travers de ses propres expériences. Il a acquis des connaissances, un savoir-faire dans certains domaines. Il s’est préparé au jour où il offrira à l’autre la somme de sa propre richesse pour la combiner à la sienne. Le mariage n’est pas la suite à deux de la vie passée. Il est pour chacun le début d’une vie nouvelle qui est un mélange des couleurs. Ce que j’étais ne reste plus le même, mais prend la teinte de l’autre. Qui me croise marié reconnaît le célibataire que j’étais, mais remarque aussi l’influence qu’a sur mon être celle que j’ai épousé. Les fruits anciens de ma vie sont encore là, mais les nouveaux issus de l’union, qui n’auraient pas existé sans elle, sont aussi visibles. La vie commune dégage un parfum inédit, résultat de la fusion des essences de chacun. La mixtion est si personnalisée qu’elle est unique. Aucun couple ne ressemble à un autre. Aucun ne dégage la même odeur qu’un autre. Que la nôtre soit à la gloire de Dieu !

Vierge jusqu’au jour de son mariage, la Sulamite ne regrette pas de s’être réservée pour son bien-aimé. Toute sa jeunesse, elle l’a vécue dans l’optique de ne s’offrir qu’à celui qui sera l’élu de son cœur. Elle a tenu à se préserver pour lui. La Sulamite est un modèle à suivre pour toutes les jeunes filles. Célibataire, elle a compris que la richesse de son mariage futur tenait à sa volonté de ne se donner qu’à son futur époux. Toute sa beauté, ses talents, tout ce qu’elle a acquis ne devait être que pour lui. C’est le cadeau de son être entier, et non éparpillé, qu’elle lui offrait ce jour.

Si seulement tu étais comme mon frère, si seulement tu avais été allaité par ma mère ! Je te rencontrerais dehors, je t’embrasserais et l’on ne me mépriserait même pas.

Amoureuse de son bien-aimé, prête à se donner à lui, la Sulamite fait part ici d’une frustration. La Sulamite ne vit pas dans l’Eden, seule avec l’élu de son cœur. Elle fait partie d’une société qui a des règles culturelles qu’elle se doit de respecter. Emportée par l’amour, elle aspire à une totale liberté de gestes et d’expressions de tendresse dans sa relation avec celui qu’elle aime. Mais sa vie publique prime sur ses désirs personnels. Si son bien-aimé pouvait être considéré comme son frère, elle pourrait se promener avec lui et l’embrasser au vu de tous. Mais la bienséance ne le lui permet pas. La réserve s’impose, même si tous les élans de son cœur la pousse à s’en affranchir.

Les désirs contraints de la Sulamite nous rappellent que nous ne sommes pas libres, en tout lieu, de nous comporter comme nos affections le souhaitent. Nous vivons tous, pour le bien de la vie commune, dans des cadres contraignants. Ce que chacun peut se permettre seul ne lui est pas toujours autorisé en société. Une collectivité qui met l’individu au centre de tout, tend à privilégier les droits de chacun aux dépens des devoirs envers la communauté. Cet ordre n’est pas celui que l’Ecriture privilégie. Le groupe passe avant l’unité. « Les amoureux qui s’bécotent sur les bancs publics, bancs publics, bancs publics, s’foutant pas mal du regard oblique des passants honnêtes…, chantait Brassens[1]. » Sa rime veut glorifier la liberté que donne l’amour. En réalité, elle ne fait que célébrer l’égoïsme des amoureux qui méprisent le sens de la pudeur qu’impose la vie en société. Le mariage est le moment où tous célèbrent la joie du couple qui se forme. Que, dans cette attente, celui-ci accepte les limites que la vie commune lui impose dans l’expression de sa tendresse. Car, à côté des amoureux, il y a des cœurs esseulés et des âmes en peine[2].

Je te conduirais, je t’amènerais chez ma mère, tu m’instruirais et je te ferais boire du vin parfumé, du jus de mes grenades.

Pour la seconde fois, la Sulamite exprime le souhait qui est le sien de conduire son bien-aimé dans la maison de sa mère : Cantique 3,4. La 1ère fois qu’elle y a pensé, elle ne se trouvait pas avec lui. Allongée sur son lit, elle s’était imaginé le scénario de leur rencontre. Ici, le rêve est sur le point de devenir réalité. Pour autant, la Sulamite n’a pas changé d’idée. La 1ère personne vers laquelle elle veut conduire son chéri est sa mère. Le mariage est à la porte. Il est le moment où les époux, à l’aube d’une vie à deux, vont quitter leur foyer respectif pour en créer un nouveau. Ils vont ainsi quitter père et mère pour habiter ensemble : Genèse 2,24. Mais la Sulamite n’entend pas que cette transition se fasse avec brutalité. Elle tient à construire un lien solide entre elle, son bien-aimé et sa mère. La mère est la matrice qui l’a fait naître, l’a entouré de ses soins, de son affection et l’a préparé à l’étape qui es devant elle. C’est avec elle qu’elle veut fêter le jour de son union avec l’élu de son cœur. Car il est, d’une certaine façon, le couronnement de tous les soins diligents dont elle a fait preuve envers sa fille. La suite de sa vie ne sera plus la même. L’épouse appartient d’abord à son époux. Mais le lien maternel ne se rompt jamais. Le bonheur conjugal des filles est et restera toujours une source de grande satisfaction pour les mères.

Il est regrettable que, jamais une seule fois, dans le Cantique des cantiques, il n’est fait mention du père. La Sulamite avait-elle un père déficient, absent du foyer ? Nous ne le savons pas. Si le but du livre est de souligner avec force l’importance de la mère pour les filles du foyer, l’auteur l’a atteint. L’absence du père doit interroger tous ceux qui le sont. Que suis-je pour mes enfants, fils et filles ? Un lien affectif profond me relie-t-il à eux ? Ont-ils le désir de partager avec moi les moments forts et heureux de leurs vies ? Sinon pourquoi ?

Que sa main gauche soutienne ma tête et que de sa droite il m’enlace !

Le souhait qu’exprime ici la Sulamite en conclusion résume à lui seul la simplicité de l’aspiration amoureuse. Que désire une jeune fille qui aime profondément un jeune homme ? Rien, si ce n’est que de se blottir dans ses bras, de s’abandonner à lui en toute confiance. Le bonheur que recherche l’amour n’est pas compliqué. Il ne demande ni de monter au ciel pour le chercher, ni de parcourir les mers pour le trouver. Il se tient là tout près, dans la proximité des cœurs et des corps de ceux qui s’aiment. En cela, il ressemble à celui de l’enfant nouveau-né qui trouve sa félicité dans la tiédeur des bras maternels. Salomon a tenté de bien des manières d’appâter la Sulamite. Elle lui répond ici qu’aucune de ses offres ne répond à son attente. Sa satisfaction, son délice est d’être enveloppé de l’amour de l’élu de son cœur. Il ne lui faut rien de plus, et rien de moins. C’est ici le sommet du cantique des cantiques.

8,4 : le jeune homme

Je vous en supplie, filles de Jérusalem, ne réveillez pas, ne réveillez pas l’amour avant qu’elle ne le veuille !

Pour la 3ème et dernière fois, le jeune homme supplie les filles de Jérusalem de ne pas forcer l’amour de la Sulamite pour lui. Si cet amour ne se trouve pas dans son cœur, il manque l’ingrédient essentiel à leur union. Le fait que la 5ème rencontre aboutisse à la même conclusion que la 1ère et la seconde démontre que, malgré tous les efforts fournis, rien n’a changé depuis l’origine. Rien de neuf n’est né, quant à l’amour, dans le cœur de la Sulamite pour Salomon. L’amour, comme la vie spirituelle, n’est pas quelque chose que l’homme peut produire. Il est le miracle de la grâce souveraine et mystérieuse de Dieu seul. La leçon que nous donne le Cantique dans sa conclusion est pour nous un avertissement. Dans notre désir d’éveiller chez des pécheurs un amour pour Christ, nous pouvons être tentés d’user de moyens de pression divers. Pour un temps, il peut nous sembler avoir atteint le but. Au bout du compte, la désillusion sera au rendez-vous. Il n’y aura pas plus d’amour au bout de la 5ème rencontre que lors de la 1ère. Si Dieu n’allume lui-même le feu dans un cœur, aucune flamme ne brûlera pour lui.


EPILOGUE

  8,8 et 9  : les frères de la jeune femme   Nous avons une petite sœur qui n’a pas encore de poitrine. Que ferons-nous de notre sœur, le ...