mercredi 27 octobre 2021

EPILOGUE

 8,8 et 9 : les frères de la jeune femme

 Nous avons une petite sœur qui n’a pas encore de poitrine. Que ferons-nous de notre sœur, le jour où on la réclamera ?

 L’épreuve par laquelle est passée la Sulamite ne l’a pas seulement révélée à elle-même, mais aussi à ses frères. Jusqu’alors, le Cantique témoigne que ceux-ci n’avaient pas beaucoup de respect pour elle. Nous les voyons au début du livre irrités contre elle : Cantique 1,6. Sa résistance envers Salomon, la fidélité de son amour pour son berger, l’ont grandi à leurs yeux. Leur revirement nous fait penser à celui des frères de Jésus. Incrédules à son sujet au commencement de son ministère public : Jean 7,4 et 5, nous les retrouvons avec les disciples, réunis dans la chambre haute dans l’attente de la venue de l’Esprit : Actes 1,14. La détermination de Jésus dans l’amour a eu raison de leurs réticences.

 Ayant connu de près le parcours de leur sœur pubère, ils se soucient de celle qui n’est encore qu’une enfant. Ils savent que l’état dans lequel elle se trouve ne va pas durer. Un jour, sa poitrine se formera. L’enfant deviendra une jeune fille qui attirera, à cause de ses charmes, de nombreux courtisans. « Que ferons-nous ? », s’interrogent les frères. « Allons-nous la laisser livrer le combat de la conquête de son cœur, seule ? » Les frères sont déterminés : il n’en est pas question. Les luttes et la victoire remportée par la Sulamite ont réveillé leurs consciences. Ce réveil a provoqué chez eux un changement de mentalité qui les amène à comprendre la responsabilité qui est la leur envers leur jeune sœur. Ils seront pour elle ce que Caïn a refusé d’être pour Abel, son cadet : ses gardiens : cf Genèse 4,9. Que cet état d’esprit soit aussi le nôtre, entre frères et sœurs dans l’Eglise !

Si elle est un rempart, nous construirons sur elle des créneaux en argent ; si elle est une porte, nous la fermerons avec une planche de cèdre.

La réflexion des frères de la Sulamite, au sujet de sa petite sœur, est un modèle du genre. Elle manifeste à la fois le respect qu’ils ont pour sa personne et le souci de sa protection. Les frères de la Sulamite n’adoptent pas à son égard une position arbitraire. Ils envisagent deux options et adaptent leur attitude à son égard en fonction de celle qu’elle démontrera. Si leur jeune sœur fait preuve de fermeté et de maturité dans cette question, elle peut savoir qu’elle peut compter sur eux pour la soutenir. Ils seront pour elle ce que sont des tours de guets, ou des créneaux pour un rempart. Un créneau est une ouverture contrôlée, pratiquée au sommet d’un rempart. Elle permet aux défenseurs des murailles de voir les assaillants et de tirer des projectiles. Si, en revanche, la jeune fille montre, par sa naïveté, une ouverture aux hommes trop grande, ils veilleront à la sauver d’elle-même en prenant les mesures qui s’imposent. L’esprit de responsabilité qui les anime est l’exemple même de celui qui devrait avoir cours dans la communion fraternelle. Il ne verse ni dans une ingérence trop forte, ni dans un laisser-faire coupable. Il incarne l’exhortation de l’Ecriture à ce sujet : « Exhortez-vous les uns les autres chaque jour, aussi longtemps qu’on peut dire : Aujourd’hui ! afin qu’aucun de vous ne s’endurcisse par la séduction du péché : Hébreux 3,13. » Heureuses la famille et la communauté qui font preuve à ce point de la préoccupation de ses membres !

 8,10 et 11 : la jeune femme

 Je suis un rempart et mes seins sont comme des tours. A ses yeux, j’ai été pareille à celle qui trouve la paix.

 Reprenant la rhétorique de ses frères, la Sulamite exprime le sentiment qui est le sien, parvenue au dénouement de son épreuve. Non ! Dans son for intérieur, elle n’était pas prête, comme une porte ouverte, à accueillir sans résistance les propositions flatteuses qui lui étaient faites. Son cœur était une place forte qui abritait un amour secret. Il n’avait pas de place en son sein pour un autre objet que lui. Cette volonté, la Sulamite l’a fait valoir en réservant ses charmes uniquement à celui qu’elle aime. Quiconque tenterait de s’en emparer devait s’attendre à une riposte nourrie et déterminée. La fermeté de la Sulamite, non seulement l’a rendue victorieuse, mais lui a assuré la paix. La position résolue qu’elle a adoptée l’a délivré des tiraillements qu’engendre l’indécision. Le roi a dû s’y résoudre : la belle jeune fille de la campagne qu’il voulait annexer à son harem ne sera pas à lui. Il va devoir s’y faire. Et s’il ne l’a pas encore compris, elle va le lui signifier clairement.

Salomon avait une vigne à Baal-Hamon. Il a confié la vigne à des gardiens : chacun apportait 1 000 pièces d’argent pour récolter son fruit. Ma vigne à moi, je la garde. A toi, Salomon, les 1 000 pièces d’argent, et 200 à ceux qui gardent son fruit.

En tant que souverain, Salomon avait l’habitude d’obtenir ce qu’il voulait. Il n’avait nul besoin d’ailleurs de s’occuper lui-même de ses affaires. Il déléguait la responsabilité de la gestion de ses biens à des serviteurs qui lui en rapportaient le fruit chaque année : 1 Rois 10,25. Il en était de l’or, des vêtements, des chevaux ou des armes de Salomon comme de ses femmes. Le roi envoyait ses émissaires un peu partout dans les pays environnants pour en acquérir de nouvelles : 1 Rois 11,1-2. Avec la Sulamite, le roi devra apprendre qu’il n’a pas à faire avec une femme qu’il peut acheter. Si belle, si désirable soit-elle, c’est elle seule qui décide à qui elle se donne. Prisonnière de l’amour qu’elle porte à celui qu’elle aime, elle se réserve à lui seul. Les serviteurs de Salomon, venus pour réclamer ce qu’il croit être son dû, en seront pour leur frais. Ils rentreront bredouille vers leur maître, porteur d’un message qu’il a besoin d’entendre. Une femme n’est pas une marchandise, un bien matériel. C’est un cœur, une âme, une personne. Aimer comme Salomon aime n’est pas aimer. C’est jouir, profiter, satisfaire des désirs. L’amour véritable est exclusif. On peut aimer des vêtements de différentes couleurs, des meubles faits de bois différent. Mais on aime entièrement un seul être. Quand bien même Salomon paierait le prix fort, il n’aurait pas la Sulamite. Elle est une femme libre d’aimer qui elle veut et tient à le rester. Que sa liberté courageuse nous inspire dans l’amour exclusif que nous portons à Jésus-Christ, notre bien-aimé.

8,13 : le berger

Habitante des jardins, des compagnons prêtent attention à ta voix. Fais-la moi entendre !

Le Cantique des cantiques ne pouvait se terminer sans que celui qui est l’enjeu du combat que la Sulamite a mené ne parle. Comme il en était des pensées de la jeune fille pour lui, ses pensées se portent vers elle. Elle est pour lui ce qu’Eve était pour Adam, dans le jardin des délices dans lequel Dieu les avait placés. A ce moment, Eve était tout pour Adam, la chair de sa chair, le bonheur de son cœur, le vis-à-vis qui allait combler sa solitude. La Sulamite est pour le berger qui l’aime l’habitante des jardins de son cœur. Il n’a qu’un désir : être auprès d’elle et entendre sa voix. Ce retour dans l’Eden primitif évoque un triste souvenir que la Sulamite peut effacer. Au jour où notre première mère prit la parole, ce fut pour entraîner son bien-aimé dans la désobéissance. Ils furent alors chassés du jardin et les anges veillèrent à leur en interdire l’accès. Ici, le berger, comme ses compagnons, guette sa voix pour écouter ce qu’elle va dire. Va-t-elle être une nouvelle Eve ou l’anti-Eve, cette compagne de l’homme qui ne vise que son bien ? Ou l’histoire du 1er couple humain va-t-elle se perpétuer sans que jamais l’objectif de l’amour, voulu par Dieu, ne triomphe de tout ?

La scène que présente le cantique des cantiques est une allégorie de l’histoire humaine. Si le 1er Adam et la 1ère Eve ont failli, il ne faut pas qu’il en soit ainsi pour les seconds. Jésus-Christ et l’Eglise sont ensemble la tête de la nouvelle humanité. Leur idylle ne se passe pas dans le secret, mais sous le regard des êtres célestes, les compagnons du bien-aimé : cf Hébreux 1,9. Amis de l’Epoux, ils se réjouissent avec lui de l’amour de l’Epouse et de leur future union. Non ! Le drame qui a inauguré l’histoire de l’humanité n'est pas éternel. Une histoire d’amour nouvelle a vu le jour. Saisi par l’amour, un peuple fait d’hommes et de femmes de toutes nations se prépare à vivre des noces éternelles avec le Bien-aimé de son cœur : Jésus-Christ. En ce jour, le ciel et la terre s’uniront dans une joie infinie et sans mesure. Que ce jour, qui conclura l’épopée humaine vienne bientôt !

Prends la fuite, mon bien-aimé ! Montre-toi pareil à la gazelle ou au jeune cerf sur les montagnes aux aromates !

Si la jeune fille a clairement signifié à Salomon à qui elle voulait se donner, elle sait que l’heure n’est pas encore venue où elle pourra pleinement jouir de son union avec celui qu’elle aime. Le temps présent n’est, de loin, pas débarrassé de tout danger. Elle appelle donc son bien-aimé, non à venir vers elle, mais à fuir vers les hauteurs parfumées de son domaine. Elle le rejoindra un jour dans ce lieu mais, pour l’heure, elle ne vivra son amour qu’en espérance.

La situation de la Sulamite évoque celle de l’Eglise, fiancée du Christ, dans le temps actuel. Affermie dans son amour pour lui au travers des épreuves qu’elle traverse, il ne lui est pas possible ici-bas de jouir pleinement du bonheur de son union avec lui. Son bien-aimé qui est venu la visiter, s’en est allé. Il est retourné dans son royaume glorieux. L’Eglise, quant à elle, vit toujours sur la terre. Le temps de son pèlerinage n’est plus celui du choix. Il est désormais celui de l’attente. Quand tous les royaumes de ce monde passeront, la domination sera remise à l’Elu de son cœur. Alors, belle comme une mariée resplendissante, l’Eglise paraîtra aux côtés de son céleste époux pour régner avec lui. Le temps de la consommation de toutes choses sera arrivé !

Ecoutons, pour conclure, le témoignage des pèlerins qui se sont approchés de ce jardin céleste qui nous attend :

« C’est un pays où l’air est fort serein et fort doux. Et, parce que c’était leur chemin, ils s’y arrêtèrent quelque temps pour s’y reposer et s’y rafraîchir. Ils entendirent sans interruption le chant des oiseaux. Chaque jour, ils voyaient sortir les fleurs de la terre et ils entendaient des sons délicieux. Dans ce climat, le soleil luit nuit et jour, car le pays est situé à l’opposé de la vallée obscure et bien loin du géant Désespoir. C’est là la frontière du ciel, et c’est ici que se renouvellent les promesses entre l’époux et l’épouse. Oui, c’est ici que :« Comme un jeune homme s'unit à une vierge, ainsi tes fils s'uniront à toi ; et comme la fiancée fait la joie de son fiancé, ainsi tu feras la joie de ton Dieu : Esaïe 62,5… Ils eurent donc, en marchant dans ce pays, infiniment plus de joie qu’ils n’en avaient eu pendant tout leur voyage, et, à mesure qu’ils approchaient plus de la ville, ils la voyaient plus distinctement. Et la gloire de cette cité était si grande que le Chrétien devint malade d’impatience d’y arriver. »

 Que cette impatience soit aussi la nôtre !

 

samedi 16 octobre 2021

SOMMET

8,5a : les filles de Jérusalem

Qui est celle qui monte du désert, appuyée sur son bien-aimé ?

La question posée ici par les filles de Jérusalem fait écho à celle qui débute la 3ème rencontre : Cantique 3,6. Lors de ce moment, les filles de Jérusalem avaient exalté la grandeur et la puissance du roi Salomon. Le but de la louange qui lui était adressé était d’ouvrir les yeux de la Sulamite sur le privilège qui serait le sien d’être la reine d’un tel roi. Celle-ci n’en a pas voulu. A l’endroit même où Salomon est apparu dans sa gloire, les filles de Jérusalem voient arriver un cortège beaucoup plus modeste. La Sulamite apparaît seule, appuyée au bras de son fiancé. Ici, point de vaillants hommes pour l’entourer, point de colonnes de fumée, de vapeurs de myrrhe, point de litière ornée d’or, d’argent et de broderie fine : cf Cantique 3,6 à 10. La seule parure de la Sulamite est le bonheur dont elle jouit d’être au bras de celui qu’elle aime. La joie de sa présence à ses côtés lui suffit, la comble. La jeune fille est au sommet de la félicité.

Alors que tant de choses leur sont proposées pour les combler, les élus de Dieu n’aspirent qu’à une seule. Comme il en est pour la Sulamite, leur béatitude n’est pas dans la possession de mille biens, mais dans la présence d’un seul être : Jésus, leur bien-aimé. Être avec lui leur suffit, ils ne demandent rien d’autre. Tout, dans ce monde, travaille à les détourner de lui ou à les conduire à l’oublier. Mais rien n’y fait. Qui a goûté à la saveur de l’amour de Jésus sait que rien ne lui procurera plus de bonheur. Notre fierté n’est pas d’être dans la cour des grands de ce monde. Elle est d’être dans le cortège nuptial du Fils de Dieu, appuyé sur son bras. Que ce jour de noces, qui conclura pour l’éternité la réalité de notre union avec lui vienne bientôt : cf Apocalypse 19,6 à 9.

8,5b à 7 : la jeune femme

Je t’ai réveillé sous le pommier. C’est là que ta mère est tombée enceinte de toi, c’est là qu’elle est tombée enceinte et t’a donné le jour.

Partie à la recherche de son bien-aimé, la Sulamite le trouve endormi à l’endroit même où sa mère l’a conçu : sous le pommier. Que faisait-il là ? Le récit ne nous le dit pas. Il souligne seulement le fait que c’est là où débuta sa vie que l’élue de son cœur le rejoint, dans le but de s’unir à lui pour toujours. Dans la perspective de leur union, les amoureux ont souvent besoin, de la part de Dieu, de confirmations avant de s’engager l’un envers l’autre. Cette nécessité est d’autant plus forte si, comme dans le cas de la Sulamite, l’entourage cherche à pousser la jeune fille dans les bras d’un autre homme que celui qu’elle aime. Nous pouvons compter sur la conduite de Dieu pour ne pas nous tromper dans ce domaine si décisif pour notre vie future. Le lieu où la Sulamite trouve son chéri ne peut que la réjouir. Là où il a vu le jour, là où la vie est née, là la providence leur a donné rendez-vous pour sceller leur union et perpétuer la vie. Si, pour tous les autres, le pommier du verger ne signifiait rien, pour eux il ne pouvait être qu’un clin d’œil du destin. Dieu, qui a tous les fils de notre vie en main, sait comment les arranger pour susciter des évènements porteurs de signification pour ceux qu’il conduit. Qu’il nous donne d’être sensible à sa direction, visible dans l’agencement des faits et des circonstances.

Fais de moi comme une empreinte (un sceau) sur ton cœur, comme une empreinte (un sceau) sur ton bras

Alors que, tout au long du Cantique des cantiques, la jeune fille doit lutter contre les assauts du roi qui veut gagner son cœur, elle comprend ici que son combat ne cessera pour elle qu’au jour où, dans celui de son bien-aimé, la signature de son nom sera gravée de manière indélébile. Dans la Parole de Dieu, le sceau que la jeune fille réclame, a toujours le même sens. Il est le symbole et la marque de la propriété. Le sceau du roi sur un document ou sur un objet témoignait aux yeux de tous que celui-ci émanait de lui ou lui appartenait. La jeune fille le dit ici : tant que celui qu’elle aime n’aura pas marqué son nom sur son cœur et sur son bras, elle ne sera pas libre à l’égard des autres prétendants qui la voudront pour eux.

Nous le savons, mais il est toujours bon de nous en rappeler. Le salut de notre âme ne vient pas de nous, mais de ce que le Christ, notre Sauveur et notre Bien-aimé a fait pour nous. Dans son amour, dit Paul aux Ephésiens, il nous a choisis dès avant la fondation du monde : Ephésiens 1,4. Ce choix que Dieu a fait de ses élus n’est connu que de lui seul. Avant même que ceux-ci le sachent, il a gravé leurs noms dans son cœur. Pour que le salut des choisis soit effectif, l’élection ne pouvait rester secrète. Il fallait qu’à la vue de tous, la marque de leur nom soit imprimée sur le bras de Dieu. Cette marque visible du salut sur le bras de Dieu s’est faite à la croix du Calvaire. Là, le Christ, notre Berger, donne sa vie pour le salut de ses brebis : Jean 10,11. Par la croix, ceux qu’il a choisi d’avance sont justifiés : Romains 8,29-30. Le nom des rachetés inscrits sur son cœur le sont sur son bras et ses mains.

Revenons à la demande que fait la Sulamite. En quoi le fait d’avoir son nom imprimé sur le cœur et le bras de son bien-aimé garantit-elle sa sécurité ? Un verset du prophète Esaïe, au sujet de Sion, y répond :

« Voici, dit Dieu à Sion, je t’ai gravé sur mes mains. Tes murs sont constamment devant mes yeux : Esaïe 49,16. »

« Je t’ai gravé sur mes mains. Par conséquent, il est impossible un seul instant que je t’oublie. Tu es à moi. Tu es ma propriété pour toujours. Et chacun qui voit cette marque le sait. » D’où viendront, pour la Sulamite, le repos et la sécurité dont son cœur a besoin au sujet de son amour ? Est-elle dans la force de ses sentiments, dans la lutte qu’elle mène pour rester attachée à son bien-aimé ? Non ! Elle se trouve dans l’acte qui atteste que, désormais, elle ne s’appartient plus, mais qu’elle est à son bien-aimé. La même sécurité, dit Paul, est offerte, à ceux qui, dans la Nouvelle Alliance, sont les objets de l’amour rédempteur du Christ :

« Vous avez été marqués, dit Paul, par l’empreinte, le sceau du Saint-Esprit qui avait été promis. Il est le gage de votre héritage en attendant la libération de ceux que Dieu s’est acquis pour célébrer sa gloire : Ephésiens 1,14. »

Le salut des élus n’est pas garanti par la force de leur attachement à leur Dieu. Il l’est par la double signature de Dieu sur leurs vies. La 1ère, invisible, est le fondement de la seconde. La seconde est la confirmation de la 1ère. L’histoire d’amour qui s’est construite entre Dieu et nous est semblable à celle qui aboutit au mariage entre un homme et une femme. Elle commence dans le cœur et finit par une bague au doigt. L’alliance atteste aux yeux de tous que les époux ne sont plus libres, mais qu’ils s’aiment et sont l’un à l’autre pour toujours. Il y a dans le monde invisible deux marques qui sont un message clair pour les esprits : la marque des clous sur les mains de Jésus et la marque du sceau de l’Esprit dans le cœur des élus. Tout esprit qui les voit sait à quoi s’en tenir. Il sait qu’il n’a pas le pouvoir de ravir ses âmes à celui à qui elles appartiennent. 

Car l’amour est aussi fort que la mort…

Il y a, dans le monde et dans le cœur des hommes, deux puissances qui agissent avec une vigueur égale l’une à l’autre. Ces deux forces sont comme deux courants irrésistibles qui emportent inexorablement ceux qui sont dans leurs cours vers leur destin. Bien que totalement contraires, elles se ressemblent pourtant par le fait que les mêmes éléments s’y retrouvent. Ces deux passions, dit le Cantique, sont l’amour et la mort.

Cette vision binaire du monde est aujourd’hui ce qui est fondamentalement remis en cause. Au siècle de la tolérance, il n’est pas possible de classer les êtres de façon catégorique. Il ne nous faut pas penser en noir et blanc, mais en nuances de gris. La preuve actuelle la plus forte de ce relativisme ambiant se manifeste dans la théorie du genre. L’identité sexuelle des êtres n’est pas définie par la biologie, mais par les orientations de leurs désirs. Certains sont nés hommes, mais, dit-on, ils ont en eux une identité de femmes ou vice versa. D’autres se trouvent dans un flou plus grand encore. Ils sont des « fluid genders », des personnes indéfinies sur le plan sexuel, un matin homme, le lendemain femme. C’est oublier à quel point la nature humaine est corrompue et pervertie.

L’évangéliste Jean est peut-être celui qui, dans l’Ecriture, a le mieux défendu l’idée d’un monde binaire. Les hommes nagent, soit dans le courant de l’amour, soit dans celui de la mort. Dans la pensée de Jean, il n’y a que deux options possibles pour l’humain : être dans les ténèbres ou dans la lumière, aimer son frère ou le haïr, pratiquer la vérité ou le mensonge, la justice ou l’iniquité, être croyant ou incrédule, adhérer au Christ ou à l’Antichrist… La conception du réel de Jean se calque sur celle de Jésus qui disait : « celui qui n’est pas avec moi est contre moi, et celui qui n’assemble pas avec moi disperse : Luc 11,23. » Rien cependant n’atteste autant la radicalité du choix auquel nous sommes confrontés que la croix où Jésus meurt. La prière faite par le Christ au jardin en témoigne :

« Mon Père, s’il est possible, que cette coupe (de douleurs et de souffrances que je dois boire pour le salut des hommes) s’éloigne de moi : Matthieu 26,39. » Autrement dit : « Mon Père, s’il est possible qu’une solution moins extrême, moins radicale, une solution qui n’exige pas le sacrifice et le dépouillement si entier de ma personne, soit trouvée, alors, épargne-moi. » Face à la réponse négative du Père, Jésus dira :

Mon Père, s’il n’est pas possible que cette coupe s’éloigne sans que je la boive, que ta volonté soit faite : Matthieu 26,42. » Non ! Il n’était pas possible que la mort soit épargnée par Jésus. Parce que, pour détourner ce courant qui allait emporter les hommes vers la destruction, il en fallait un plus fort que lui : le courant de l’amour de Dieu. 

La passion est aussi inflexible que le séjour des morts.

Roméo, de la famille des Montaigu, était tombé amoureux fou de Juliette, de la maison des Capulets. Pour leur malheur, les deux clans se haïssaient par-dessus tout. Mais la passion qui anime le jeune homme et la jeune fille est plus forte que tout. Par suite de multiples péripéties, Roméo, croyant Juliette morte, préfèrera se suicider plutôt que de continuer à vivre. Juliette, ayant appris la mort de Roméo, le suivra peu de temps après dans le tombeau. La tragédie shakespearienne bien connue est l’illustration de l’affirmation du Cantique des cantiques dans son sommet. Si la mort est intraitable avec ses victimes, la passion amoureuse l’est tout autant. Quel que soit le prix qu’il doit payer et les pressions qui s’exercent sur lui, le cœur qui aime est inflexible. Il ne se relâchera pas ni ne se détournera de l’objet de son affection jusqu’à ce qu’il ait atteint son but.

A de multiples reprises, l’Ecriture témoigne de la menace funeste que représente l’approche de la mort pour les justes. « Les liens de la mort m’avaient enserré, et les torrents dévastateurs m’avaient épouvanté ; les liens du séjour des morts m’avaient entouré, les pièges de la mort m’avaient surpris : Psaume 18,5-6. » Dans la circonstance, David ne devra son salut qu’au secours divin : Il est intervenu d’en haut, il m’a pris, il m’a retiré des grandes eaux, il m’a délivré de mon adversaire puissant, de mes ennemis qui étaient plus forts que moi : Psaume 18,17-18. » Seule la passion de Dieu pour David avait le pouvoir de le soustraire au sort inéluctable qui l’attendait.

Ce n’est pas pour rien que l’on nomme la souffrance rédemptrice vécue par Jésus, sa passion. Seule, en effet, une passion inflexible le rendra capable d’aller au bout de sa volonté de salut pour nous. Cette passion, nous la lisons, sur son visage tout au long de son parcours jusqu’à la croix. Evoquant le sujet, Esaïe dira : « Je ne me suis pas rebellé, ni esquivé. J’ai présenté mon dos à ceux qui me frappaient et mes joues à ceux qui m’arrachaient la barbe, je n’ai pas caché mon visage aux insultes et aux crachats. Cependant, le Seigneur est venu à mon aide. Voilà pourquoi je ne me suis pas laissé atteindre par les insultes, voilà pourquoi j’ai rendu mon visage dur comme une pierre… : Esaïe 50,5 à 7. »

Quelqu’un a noté avec justesse que, du prétoire à la croix, jamais nous ne voyons Jésus baisser la tête. Pour qu’il soit un sacrifice puissant et victorieux sur la mort, il fallait que l’engagement de Jésus soit total, volontaire et déterminé. Cette détermination du Christ se lit sur sa face, lorsqu’il choisit d’aller à Jérusalem au-devant de son destin : « Lorsque le temps où il devait être enlevé du monde approcha, Jésus prit la résolution de se rendre à Jérusalem : Luc 9,51. » Littéralement, on pourrait traduire : Jésus fixa son visage de façon solide.  La passion inflexible de Jésus a eu raison du courant puissant de la mort qui devait nous anéantir. C’est grâce à elle que nous vivons. Qu’à jamais, nous lui en rendions grâces dans l’éternité !

Ses ardeurs sont des ardeurs de feu, une flamme de l’Eternel.

Il n’est étrange pour aucun lecteur de l’Ecriture que la mort soit comparée à un feu ardent qui consume les rebelles. Jésus lui-même, jugeant les damnés, situe le lieu de leur séjour dans le feu éternel préparé à l’origine par Dieu pour le diable et ses anges : Matthieu 25,41. Ce qui est plus singulier   est l’idée que l’ardeur de la passion amoureuse brûle de la même flamme. Comment comprendre ces choses ?

Il n’est pas rare que, pour décrire Dieu, la Parole utilise l’image du feu. Alors que Moïse était dans le désert, il vit un buisson ardent en feu qui ne se consumait pas. S’approchant, il entendit une voix qui lui ordonna d’ôter ses souliers de ses pieds, car il se tenait sur une terre sainte : Exode 3,5. Pour que le feu de Dieu ne lui fasse pas de mal, Moïse devait respecter deux conditions : ne pas souiller le lieu où il se manifestait et se tenir à une distance raisonnable, salvatrice du feu de Dieu. Le feu de Dieu, par lequel Dieu s’est révélé à Moïse sans lui faire aucun tort, est le même qui est mentionné par Esaïe comme celui qui brûlera dans la géhenne les damnés : « Les pécheurs sont effrayés dans Sion, un tremblement saisit les impies : qui de nous pourra rester auprès d'un feu dévorant ? Qui de nous pourra rester auprès de flammes éternelles ? : Esaïe 33,14. »

Nous ne le saurons qu’au jour où nous serons dans l’éternité. Mais il n’est pas impossible que le feu de l’amour saint de Dieu, qui réchauffera le cœur des élus en éternité, soit le même qui consumera les perdus. Il y aurait là comme les deux faces d’une même réalité dans des applications contraires. Ecoutons ce que dit à ce sujet Norman Grubb, le neveu de Charles Studd :

« Le feu tel que nous le voyons dans le soleil, est la source de toute vie sur la planète. En soi, il est une puissance terrible de destruction. Si l’on viole les lois de la nature en l’approchant de trop près, on en est puni par la souffrance et la destruction. Et pourtant de cette source embrasée rayonnent toutes les merveilles et toutes les beautés, les couleurs et la chaleur de la lumière douce et bienfaisante. Sans feu, pas de lumière. Sans lumière, pas de vie sur la terre, car la lumière pénètre dans la nature entière pour la vivifier, nourrir, donner couleur et forme à toute chose… A côté du royaume de Dieu, s’est constitué par la révolte un autre royaume, celui du mal et du moi. Ce royaume est l’envers de celui de Dieu… Le royaume du moi se caractérise par des égos coupés de leur source. Ce sont des égos qui veulent être leur propre fin et satisfaire leurs convoitises. Le royaume du moi et du mal est un royaume rebelle à Dieu. C’est un royaume qui viole les lois éternelles de Dieu et qui se brûle au contact de sa volonté.

 Le feu vengeur de l’enfer fait partie de Dieu, c’est une partie intégrante inéluctable de Sa nature, car ce sont exactement les mêmes flammes qui brûlent dans l’amour au céleste royaume. Si Lucifer et ses armées, puis les hommes séduits par lui, ne s’étaient pas détournés du royaume de la lumière de Dieu vers le royaume de son feu, nul n’aurait jamais connu ni éprouvé le caractère féroce et infernal de ces flammes… Ceux qui sont dans l’étang de feu ne connaissent pas Dieu comme la douce et bienfaisante lumière du ciel, mais comme le feu originel caché, au sein duquel ils ont pénétré indûment. Ils ont plongé les mains dans le feu au lieu de se réchauffer à sa lumière… Le ciel et l’enfer sont en réalité les deux faces d’un même élément éternel : feu consumant de la vie qui est la nature de Dieu, qui brûle dans l’amour ou la colère, suivant que nous plongeons nous-mêmes dans l’un ou dans l’autre.[1] »

 Toutes choses, dans le monde présent comme à venir, trouve son origine en Dieu. Tout émane de lui et, par ce fait, reste lié à lui. Les élus de Dieu, objets de son amour, célébreront à jamais la passion dont le Christ a fait preuve pour leur salut. Car c’est de lui seul que vient leur rédemption.  « En Jésus-Christ, dit Tim Keller, nous constatons que, comme nous, Dieu fait réellement l’expérience de la douleur des flammes…[2] » Par sa mort, il s’est consumé pour que nous ne le soyons pas. Les maudits, quant à eux, découvriront avec douleur l’inanité de leur volonté d’autonomie à son égard. Le Dieu qu’ils auront voulu fuir sera la réalité éternelle et permanente qu’ils devront subir. « C’est pourquoi, dit l’auteur de la lettre aux hébreux, puisque nous recevons un royaume inébranlable, attachons-nous à la grâce qui nous permet de rendre à Dieu un culte qui lui soit agréable, avec respect et piété. Notre Dieu est en effet un feu dévorant : Hébreux 12,28-29. »

Les grandes eaux ne pourront pas éteindre l’amour, ni les fleuves le submerger

 Un seul élément, nous le savons, est capable de mettre un terme à la puissance dévastatrice du feu : l’eau. Il y a entre l’eau et le feu une impossibilité d’accord. Là où l’eau est absente, rien n’arrête le feu. Là où elle est déversée avec force, les flammes s’éteignent. Il y a un feu, cependant, contre lequel les grandes eaux sont impuissantes. C’est, dit la Sulamite, le feu de l’amour. L’expression que la jeune fille utilise ici pour décrire l’adversité qui cherche à tuer l’amour n’est pas nouvelle. Dans l’Ecriture, les grandes eaux symbolisent un courant contre lequel on ne peut lutter seul, telle une marée qui emporte tout sur son passage. David, qui est passé par là, témoigne qu’il ne dut son salut qu’à la main salvatrice de Dieu : Psaume 18,2. Les tentatives de séduction dont a été l’objet la Sulamite ne sont pas rien. Elles ont éprouvé son cœur, ses affections à l’extrême. La pression exercée sur elle suffisait à elle seule pour rompre les digues de son cœur. Mais la flamme que l’Eternel avait allumé en elle a tenu bon. Il en est de l’épreuve du juste comme de la mer. Ses limites sont fixées par Dieu. « J’ai dit : Tu pourras venir jusqu’ici, tu n’iras pas plus loin. Ici s’arrêtera l’orgueil de tes vagues : Job 38,11. » La fermeté dont a fait preuve la Sulamite n’est pas le fruit de sa force de caractère. Elle est la manifestation en elle de la présence toute puissante de Dieu, mise au service de l’amour. C’est cette même puissance qui, par l’Esprit de Dieu, habite en nous. L’amour ne meurt jamais : 1 Corinthiens 13,8.

Même si un homme offrait tous les biens de sa maison contre l’amour, il ne s’attirerait que le mépris

 La Sulamite apporte ici la conclusion morale de l’histoire qui forme la trame du Cantique. La leçon majeure qu’elle veut que nous retenions est que l’amour d’un cœur ne peut être acheté. L’amour n’a pas de prix et quiconque veut le monnayer n’a pas saisi sa valeur inestimable. La prostituée peut vendre ses charmes pour de l’argent. Mais ce qu’elle donne, ce n’est pas son cœur, mais son corps. L’amour est le don entier de sa personne à l’autre. Aussi ne peut-il être qu’un don entier, volontaire et gratuit. Le soudoyer contre des biens, fussent-ils les plus précieux, ne peut qu’en dénaturer l’esprit. Si l’être qui se donne à nous par amour nous est si cher, c’est que nous savons justement que nous ne pouvions rien payer pour jouir de sa tendresse et de son affection. Elles nous ont été offertes entièrement et c’est pour cette raison qu’elles n’ont pas de prix.

 Ce qui est vrai pour la relation conjugale l’est d’autant plus pour le lien qui nous attache à Dieu. Qui peut décemment penser qu’il peut acheter, d’une manière ou d’une autre, l’amour de Dieu ? Si une relation d’amour et d’affection peut exister entre l’être créé et son Créateur, elle ne peut se faire que sur la base du don et de la gratuité. A cause du péché, Dieu aurait pu choisir de garder pour toujours ses distances avec nous. Il ne l’a pas fait. Son amour l’a poussé à rétablir la communion rompue avec nous. Il n’a pu le faire qu’en nous donnant ce qui lui était le plus précieux : son Fils unique et éternel. Plus que tout autre, ce don avait pour son cœur une valeur inestimable. Aussi est-il impossible, à ceux à qui il est destiné, de le payer ou de le marchander. « Vous le savez, en effet, dit l’apôtre Pierre : ce n’est pas par des choses corruptibles comme l’argent ou l’or que vous avez été rachetés de la manière de vivre dépourvue de sens que vous avaient transmise vos ancêtres, mais par le sang précieux de Christ, qui s’est sacrifié comme un agneau sans défaut et sans tache : 1 Pierre 1,18-19. » Que, dans notre relation quotidienne avec Dieu, nous ne l’oublions jamais. Son amour pour nous est et restera à jamais un don de sa générosité. Je ne peux rien faire ni pour le monnayer, ni pour le mériter.



[1] Norman Grub : la loi de la foi : Edition Mission et Réveil (1969)

[2] Timothy Keller : la souffrance : Editions Clé


EPILOGUE

  8,8 et 9  : les frères de la jeune femme   Nous avons une petite sœur qui n’a pas encore de poitrine. Que ferons-nous de notre sœur, le ...