3ème
RENCONTRE : 3,6 à 5,1
Le 1er acte de la
pièce inspirée mettant en scène le dilemme amoureux qui en est l’objet, introduit
les personnages de la tragédie. Une jeune fille de basse condition est désirée
par un jeune homme riche pour sa beauté. Mais le cœur de celle-ci appartient à
un autre : un berger qui garde ses troupeaux dans les montagnes. La jeune
fille est introduite dans les appartements luxueux du jeune homme. Le processus
est en route, inéluctable. Elle lui est destinée contre son gré. Le 2ème
acte nous relate le contenu d’un rêve fait par la jeune fille. Dans la maison
de son soupirant, elle imagine une rencontre avec l’élu de son cœur. Le berger
a quitté son troupeau. Il a franchi des montagnes pour frapper à sa porte. Il
se tient là, l’appelle à sortir pour profiter des beautés du printemps. La
jeune fille hésite. Le bien-aimé fait mine de partir. Lorsqu’elle se lève, il
n’est plus là. Comme une folle, elle parcourt les rues de la ville à sa
recherche. Elle rencontre les gardes qui font une ronde, et les interroge.
Puis, soudain, le bien-aimé de son cœur est devant elle. Elle le saisit et ne
le lâche plus. Elle le conduit dans la chambre nuptiale de sa mère pour
signifier à tous qu’il est, lui, l’élu de son cœur. Le 3ème acte est
l’heure de l’épreuve. La jeune fille est installée sur la litière de Salomon,
son soupirant. Tout est grandiose, majestueux, impressionnant. Les futurs époux
sont en route pour les noces. L’amour de la jeune fille pour son berger va-t-il
résister ? Ou finira-t-elle par consentir à épouser le jeune homme de
lignée royale qui veut faire d’elle sa reine ?
A la lumière de la teneur du 3ème
acte, nous comprenons la valeur du second. Enfermée en elle-même, la jeune
fille s’est coupé des attraits du lieu où elle se trouvait. Elle a affermi sa
position. Sa décision est prise : son bien-aimé est à elle et elle à lui. Son
cœur n’est plus libre. Il n’a pas de place pour quelqu’un d’autre. Il n’y a
qu’un objet à son amour. Quelque part, il lui fallait passer par là pour le
savoir. Ses défenses intérieures sont fortifiées. Elle ne peut éviter l’épreuve
qui est devant elle, mais elle est prête à l’affronter. La préparation de la
bien-aimée à ce qui l’attend nous parle de la pédagogie de Dieu en vue de la
formation de ses serviteurs. Chacun d’eux devra tôt ou tard entrer dans
l’arène, connaître ce moment décisif au cours duquel le destin peut basculer
dans un sens ou un autre. Dans la fournaise, le serviteur de Dieu n’est pas
livré à lui-même. La vraie bataille, comme celle de Jésus à Gethsémané, a eu
lieu en lui, avant la confrontation. Ce qui s’est passé dans le secret de son
cœur entre lui et Dieu dans le désert, l’a rendu apte à relever le défi de
cette heure, son heure. Il se peut que nous ne comprenions pas toujours les
moments de solitude difficiles par lesquels Dieu nous fait passer. Dieu connaît,
lui, ce qui les suivra. Il sait que, sans eux, nous ne tiendrions pas. Avant d’être
concrétisée à l’extérieur, les victoires se gagnent à l’intérieur. Pour la
jeune fille, l’heure est venue d’entrer dans l’arène sous le regard de milliers
de spectateurs…
Qui donc monte du désert comme
des colonnes de fumée, au milieu des vapeurs de myrrhe et d’encens et de tous
les aromates des marchands ? Voici la litière de Salomon…
Nous retrouvons, pour le 3ème
acte du cantique, la jeune fille dans une position qu’elle n’a jamais connue. « Lors
d’un mariage juif au début de l’ère chrétienne, le mari portait une couronne de
cérémonie et accueillait son épouse qui faisait son entrée sur une chaise à
porteurs… L’entourage de la mariée formait également une procession musicale… La
mariée était parée de vêtements brodés et de bijoux.[1] »
Si un tel protocole d’honneur marquait l’union entre deux israélites issus
du peuple, nous pouvons imaginer la somptuosité du cortège royal qui déambulait
au milieu de la foule en liesse. La question qui se pose ici est cruciale :
comment le cœur de la jeune fille va-t-il réagir au faste dont elle est
entourée ? L’éclat de son amour pour le berger de ses affections va-t-il se
dissiper face à l’éblouissement de la fête donnée pour elle ? Car rien ne
manque, ni n’a été laissé au hasard pour marquer les esprits. La jeune fille,
portée sur sa litière, est l’objet de tous les regards. Elle peut savourer l’avant-goût
de ce que sera sa vie si elle consent à épouser Salomon. Elle sera reine, l’objet
de toutes les attentions. De multiples mains s’activeront autour d’elle pour
répondre à tous ses désirs. Rien ne lui sera refusée pour parfaire sa beauté :
vêtements magnifiques, parfums délicats. Quelle femme à Jérusalem ne souhaiterait
être à sa place ?
… Et autour d’elle 60 hommes
vaillants, parmi les plus vaillants d’Israël. Tous sont armés de l’épée…
Portée dans sa litière, la jeune
fille bénéficie d’une faveur que lui envierait toute femme. Malgré la foule qui
l’entoure, elle sait qu’elle ne risque rien pour sa vie. Une garde personnelle,
composée de 60 des plus vaillants guerriers du roi, l’entoure. Elle est là pour
assurer la protection de la future reine et veiller sur elle jour et nuit.
Cette milice témoigne des engagements de Salomon à son égard pour l’avenir.
Personne dans son royaume ne sera plus en sécurité que la future reine. Parce
qu’il est le roi, Salomon sait qu’il est le seul en mesure d’offrir une telle
couverture à la jeune fille. L’amour romantique qui la lie à son berger dans
ses rêves est beau. Mais la vie n’est pas un rêve. Elle est faite de dangers,
de menaces. Que la jeune fille se réveille et revienne à la réalité ! Autour
d’elle, elle a la démonstration de ce qui peut lui assurer repos et tranquillité.
Un tel confort pour l’âme, une telle garantie de sûreté ne valent-ils pas la
peine d’y réfléchir à deux fois ? Que peut donner son berger en échange
d’une si grande caution ?
Le roi Salomon s’est fait une
litière en bois du Liban. Il a fait ses colonnes en argent, son dossier en or,
son siège en pourpre. L’intérieur est tout brodé, travail fait avec amour par
les filles de Jérusalem
Soucieux d’éblouir sa belle, le roi Salomon multiplie les artifices pour la conquérir. Le cœur de la jeune fille est à son berger, mais l’éveil de ses sens peut l’en détourner. Aux vapeurs de la myrrhe et de l’encens, à la sécurité que lui offre sa garde personnelle, Salomon ajoute aux attraits extérieurs destinés à la séduire la puissance qu’exerce le luxe. « Une qualité exceptionnelle et de l’émotion, beaucoup d’émotion, dit Bernard Catry, est la recette éprouvée du monde de luxe. Et l’émotion est souvent fondée sur le sentiment d’exclusivité, de rareté que procure la possession ou la consommation de ces objets exceptionnels.[1] » Le but de Salomon, en étalant sous les yeux de sa promise tant de luxe, est tout trouvé. Il est de l’inviter à délaisser son humble condition pour jouer désormais avec lui dans la cour des grands. Une promenade dans la campagne printanière peut être divertissante. Mais la belle qui se trouve dans sa litière est d’un autre rang qu’une fille de ferme. Elle est faite pour les belles colonnes des palais, les tapisseries magnifiques des salles d’apparat, les sièges de pourpre royale. La jeune fille ne l’a pas encore vu. Sa place est, non au milieu du peuple, mais avec l’élite. Elle est une personne qui sort du lot du commun. Le luxe qui lui est destiné ne jure en rien avec sa beauté. Il correspond à ce qui la distingue et la range dans la catégorie des êtres d’exception. Le statut de la jeune fille est celui d’une reine. Et, il faut qu’elle en prenne conscience au plus vite : rien n’est trop beau pour une souveraine !
Sortez, filles de Sion ! Regardez
le roi Salomon avec sa couronne…
Tel un joueur de cartes qui dévoile
petit à petit ses atouts, Salomon présente ici à la jeune fille sa dernière
pièce, sa carte maîtresse. Elle est faite de l’admiration que suscite sa
personne auprès des jeunes filles de Jérusalem. Le metteur en scène de l’acte 3
de la pièce qui se joue invite les jeunes filles de Sion à sortir pour
contempler la splendeur royale du futur époux. Nous imaginons les soupirs, les
exclamations de celles-ci à la vue du prince royal ceint de la couronne qui
marque son rang. Quelle fille de Sion ne rêverait de siéger à ses côtés, de se
trouver à la place de la jeune fille, en route vers son destin de reine ?
N’entend-t-elle pas les cris enthousiastes des filles de son âge à la vue du spectacle
dont elle est l’objet ? Ne voit-elle pas l’envie, la pointe de jalousie
qui brille dans leurs yeux ? Aucune d’elles, c’est certain, ne serait sotte
au point de décliner la perspective qui se profile devant elle !
La stratégie suivie par Salomon
pour gagner le cœur de la jeune fille est typique de celle qu’use le monde pour
rallier l’Epouse du Christ à lui. Le prince de ce monde ne supporte pas que quoi
que ce soit échappe à son contrôle. Aussi n’hésitera-t-il pas à proposer à
Jésus la domination mondiale, pourvu que celui-ci consente à se prosterner
devant lui : Matthieu 8,4 à 10. Si Jésus
cédait, il serait toujours là. Mais tout ce qu’il ferait se passerait, non
en-dehors, mais sous son giron. Pour parvenir à ce but, il peut certes user de
violence. Mais l’Ecriture témoigne que, dès l’origine, son arme de prédilection
est la séduction. Satan a dû s’y résoudre. Jésus-Christ, le Fils de Dieu, est
incorruptible. Mais l’Eglise, sa bien-aimée, n’est pas faite de la même pâte.
Elle vit de son amour, mais elle reste humaine, sensible aux sirènes de la
gloire, de la puissance ou du pouvoir. Malgré les tentatives faites pour la
détruire, le prince de ce monde a échoué. Pour autant, la partie n’est pas
perdue. Au lieu de l’évincer, pourquoi ne pas lui donner une place dans ce
monde, la meilleure ? Une alliance entre l’épée et l’autel peut
concrétiser l’accord ! L’Eglise sera la reine du monde et son prince assurera
son existence par le luxe et le pouvoir des armes. Qu’elle y réfléchisse !
Qu’y-a-t-il de plus enviable pour elle ? Une vie cachée dans les ténèbres
des catacombes ou la pourpre royale pour étendre sa souveraineté ? Certes,
l’Eglise portera encore le nom de son bien-aimé ! Mais celui-ci sera banni
de son cœur ! Que fera la jeune fille ? Va-t-elle se laisser étourdir ?
Ou l’amour de son berger finira-t-il par triompher ?
Que tu es belle, mon amie, que tu es belle !
Le 3ème acte de la
pièce du cantique fait écho au second. Le second acte nous a fait connaître ce
qui, au fond d’elle, fait rêver la jeune fille. Eprise d’un berger, elle l’imaginait
franchir montagnes et vallées pour venir à sa porte et l’inviter à jouir de sa
compagnie dans la campagne printanière. Négligente à son appel, la jeune fille
a mesuré toute l’angoisse que ressentait son âme à l’idée de le perdre. Elle
s’est alors mise à sa recherche, s’exposant au danger, jusqu’à ce qu’elle le
retrouve. Car dans son cœur, une seule chose prime désormais : être avec
lui. La jeune fille a saisi qu’elle ne peut vivre sans lui. Une communion
profonde les unit l’un à l’autre et, dans leur être intérieur, ils ne sont plus
qu’un.
Le 3ème acte, comme le
second, est fait d’un long monologue qui se termine par une parole de la part
de celui qui en est le sujet. Tandis que dans le second, c’est la jeune fille
qui parle et Salomon qui conclut, l’inverse se produit dans le 3ème.
Le 3ème acte nous fait connaître les pensées de Salomon au sujet de
la jeune fille. Il nous parle de ce qui le ravit chez elle et la jeune fille y
apporte une conclusion. D’entrée, Salomon le dit : la beauté physique de
la jeune fille est ce qui l’attire par-dessus tout. Il prend le temps de
décrire ce qui le charme chez elle. Se faisant, il témoigne de la puissance
d’attraction que représente le corps de la femme pour l’homme. Celle-ci le sait
et en use souvent dans son désir de séduire. Ecoutons ce que dit Salomon sur
les attraits physiques qu’il trouve à la jeune fille
Tes yeux sont comme des colombes
derrière ton voile.
La première chose qui le frappe
sont les yeux de la jeune fille. Pour la seconde fois, il les compare à des
colombes : Cantique 1,15. Nous avons déjà
évoqué ce que cette comparaison suggère. La colombe, avons-nous dit, est le
symbole de la douceur et de l’innocence. Le regard de la jeune fille porte
encore en lui la marque de l’enfance. Il n’a pas encore été terni par les
souffrances de la vie. C’est cette virginité qui séduit le roi, lui qui,
pourtant, se plaît par ailleurs à capitaliser ses conquêtes : Cantique 6,8.
Tes cheveux sont pareils à un
troupeau de chèvres bondissant sur les montagnes de Galaad.
Après les yeux, le second élément
du physique de la jeune fille qui séduit Salomon est sa chevelure. Les cheveux
de la belle lui font penser aux chèvres noires du pays de Canaan qui dévalent
les montagnes en bondissant. La chevelure d’une femme, dit Paul, lui sert de
voile : 1 Corinthiens 11,15. Elle est l’apparat
naturel que Dieu lui a donné pour mettre en valeur sa féminité et tenir sa
place dans les assemblées. Dans toutes les cultures, les cheveux ont toujours
été l’une des parties les plus symboliques du corps humain. Leur longueur, leur
couleur ou leur structure varient selon leurs populations. Mais chez tous, la
chevelure a valeur de protection, de beauté ou d’identification. Chez la femme,
elle possède de plus une connotation sensuelle innée. En Inde, les femmes mariées
doivent toujours porter les cheveux attachés ou nattés. Le moment où ils sont détachés
sont réservés à la stricte intimité, tant ce geste est empreint de sensualité
dans la culture indienne. Charles Baudelaire est, parmi les poètes, celui qui a
peut-être le mieux décrit quels effets les cheveux de la femme produisent sur l’homme :
« Laisse-moi respirer
longtemps, longtemps, l'odeur de tes cheveux, y plonger tout mon visage, comme
un homme altéré dans l'eau d'une source, et les agiter avec ma main comme un
mouchoir odorant, pour secouer des souvenirs dans l'air. Si tu pouvais savoir tout
ce que je vois ! Tout ce que je sens ! Tout ce que j'entends dans tes cheveux !
Mon âme voyage sur le parfum comme l'âme des autres hommes sur la musique. Tes
cheveux contiennent tout un rêve, plein de voilures et de mâtures ; ils
contiennent de grandes mers dont les moussons me portent vers de charmants
climats, où l'espace est plus bleu et plus profond, où l'atmosphère est
parfumée par les fruits, par les feuilles et par la peau humaine. Dans l'océan
de ta chevelure, j'entrevois un port fourmillant de chants mélancoliques,
d'hommes vigoureux de toutes nations et de navires de toutes formes découpant
leurs architectures fines et compliquées sur un ciel immense où se prélasse
l'éternelle chaleur. Dans les caresses de ta chevelure, je retrouve les langueurs
des longues heures passées sur un divan, dans la chambre d'un beau navire,
bercées par le roulis imperceptible du port, entre les pots de fleurs et les
gargoulettes rafraîchissantes. Dans l'ardent foyer de ta chevelure, je respire
l'odeur du tabac mêlé à l'opium et au sucre ; dans la nuit de ta chevelure, je
vois resplendir l'infini de l'azur tropical ; sur les rivages duvetés de ta
chevelure je m'enivre des odeurs combinées du goudron, du musc et de l'huile de
coco. Laisse-moi mordre longtemps tes tresses lourdes et noires. Quand je
mordille tes cheveux élastiques et rebelles, il me semble que je mange des
souvenirs.[1]
Tes dents sont un troupeau de
brebis tondues qui remontent du lavoir : chacune a sa jumelle, aucune d’elles
n’est seule.
Faisant le tour du visage de la
jeune fille, Salomon ne pouvait pas ne pas remarquer sa belle dentition. Les
femmes qui ont de belles dents, dit Charles Dolifus, sont également vouées au
sourire, et cela n’est pas sans influence sur leur caractère : avoir de
belles dents rend agréable.[1] »
Ce n’est que par le sourire, en effet, que la dentition se révèle. L’alignement
parfait des dents de la jeune fille, leur correspondance exacte constatée par
le jeune roi témoigne d’un trait propre à la jeune fille : elle est
souriante. La gaieté qui l’habite la rend solaire et augmente le charme de son
visage. « Un sourire, disait l’Abbé Pierre, coûte moins cher que l’électricité,
mais donne autant de lumière. »
Tes lèvres sont comme un liseré
cramoisi et ta bouche est charmante. Derrière ton voile, ta joue est comme une
moitié de grenade.
A proximité des dents de la jeune
fille, le regard de Salomon s’arrêta sur ses lèvres. Par leur riche coloration
et leur fine découpure, elles lui font penser à un liseré écarlate. Ensemble,
dents et lèvres donnent à la bouche de la jeune fille un aspect charmant. De
chaque côté de la bouche, ses joues arrondies évoquent la grenade, fruit
reconnaissable à sa couleur rouge vif. Le caractère écarlate des joues de la
jeune fille interroge. Est-ce là leur couleur naturelle ? Où cet accès de
rougeur témoigne-t-il chez elle de la gêne qu’elle éprouve au sujet de la
situation dans laquelle elle se trouve ? Il n’est agréable pour personne d’être
l’objet du regard des autres dans un contexte que l’on n’a pas voulu. Nous
pouvons essayer de cacher notre embarras. Mais le corps a mille moyens de
révéler les émotions qui nous agitent. Le rougissement des joues de la jeune
fille trahit le malaise qui l’habite.
Ton cou est pareil à la tour de
David, construite pour être un arsenal : mille boucliers y sont suspendus,
tous les boucliers des héros.
Après avoir scruté le visage de
la jeune fille, le regard du jeune roi descend vers la partie du corps qui le
supporte : le cou. Outre sa fonction physiologique, le cou est l’endroit
où les femmes de toutes les cultures se parent de leurs ornements. La jeune
fille n’échappe pas à cette règle esthétique. Les colliers qui l’entourent
évoquent au cœur de Salomon la tour de David, à Jérusalem, où était suspendue
les boucliers d’or exposés par le roi comme trophées de ses victoires contre le
roi de Syrie : 2 Samuel 8,3-7. En y
songeant, peut-être Salomon espère-t-il y mettre le sien, lui qui a déjà tant
conquis de cœurs féminins…
Tes deux seins sont comme deux
faons, comme les jumeaux d’une gazelle qui broutent au milieu des lis.
Arrivé au cou, il était inévitable
que les yeux de Salomon ne se portent sur la poitrine de la jeune fille. A la
différence des autres parties du corps qu’il a décrites, Salomon n’a pas vu les
seins de celle-ci. Sous les vêtements qu’elle porte, il les devine. La
comparaison évoquée, deux jeunes faons, suppose sa jeunesse. La poitrine de la
jeune fille n’est pas encore pleinement formée. Elle est encore en croissance. Parmi
tous les attraits que possède la femme, l’Ecriture souligne la puissance
érotique qu’exerce sur l’homme ses seins. Les seins de la femme sont réservés
aux baisers et aux caresses de son époux. Ils comptent parmi les charmes qui agrémentent
le plaisir de l’union conjugale : Proverbes
5,18-19. Salomon peut se réjouir
d’avance de la beauté pubère de la poitrine de la jeune fille. Mais elle ne
sera sienne que si le mariage a lieu.
V 6 :
la jeune fille
Avant que la brise du jour ne
souffle et que les ombres ne fuient, j’irai à la montagne de la myrrhe et à la
colline de l’encens.
Le parcours du regard de Salomon
l’a conduit de l’admiration des cheveux de la jeune fille à sa poitrine. Se
faisant, sa parole s’est faite plus intrusive. Le roi ne se contente plus de
décrire les généralités visibles de son aspect physique. Il s’aventure vers ses
parties intimes, celles qui sont destinées à l’élu de son cœur au jour de leur
union. A l’écoute des propos de Salomon, la jeune fille ne peut rester muette.
Il ne s’agit pas pour elle de reprendre vertement le roi. Sa position ne le lui
permet pas. Elle tient cependant à ce qu’il sache à quoi s’en tenir au sujet
des attentes induites qu’il exprime. Si le roi espère que la jeune fille deviendra
sienne en conclusion de la journée, qu’il se détrompe. Avant que le soleil ne
se retire, la jeune fille quittera la prison dorée qu’il lui a préparée pour s’enfuir
dans les montagnes respirer le parfum qu’exhale son bien-aimé : cf Cantique 1,12. Tous les trésors de séductions et de
flatteries que le roi a déployés n’ont rien changé à la disposition de son cœur.
Ils ne peuvent rivaliser avec l’attrait qu’exerce son bien-aimé sur elle. Si d’autres
jeunes filles rêveraient d’être à sa place, elle ne songe qu’à une chose :
quitter au plus vite le décorum royal duquel elle est captive pour retrouver sa
liberté et être avec lui, le berger de son cœur. Ici déjà, Salomon doit se
préparer à apprendre la leçon qui sera la conclusion du cantique : les
grandes eaux ne peuvent éteindre l’amour, ni les fleuves le submerger. Même si
un homme offrait tous les biens de sa maison contre l’amour, il ne s’attirerait
que le mépris : Cantique 8,7. »
V 7 à 15 :
le jeune homme
Tu es toute belle, mon amie, il
n’y a aucun défaut en toi
Nul doute que le roi Salomon a eu
l’occasion dans son entourage de côtoyer et d’admirer nombre de femmes pour
leur beauté. Pourtant, il l’affirme : la jeune fille qu’il convoite ici
comme épouse les surpasse toutes. Il ne voit en elle aucun défaut. Ses
proportions sont parfaites. Tous ses traits s’arrangent pour offrir à son
regard le plus magnifique des tableaux. Une telle perfection esthétique,
pense-t-il, ne peut convenir qu’à une reine. La splendeur même de la jeune
fille dit pour quel destin elle est faite.
Nous sommes dans un monde qui
regorge de la beauté de la création de Dieu. Toutes les merveilles que Dieu a
faites servent à un but : célébrer sa gloire, magnifier son nom. Il y a
cependant quelqu’un qui ne l’entend pas de cette oreille. Désireux de
supplanter le Créateur, il cherche à accaparer pour lui tout ce qui lui
appartient. Le diable n’est pas qu’un menteur, il est aussi voleur. Sa vanité
sans limite le pousse à convoiter ce qu’il y a de plus excellent dans tous les
domaines pour se l’asservir. Jaloux de Dieu, il travaille à diminuer sa gloire
en augmentant la sienne par l’usurpation. L’Eglise, la promise de Jésus-Christ,
est pour lui une cible de choix. Le diable a autorité sur tous les peuples et
les nations. Mais il sait que ce n’est pas le cas de l’Eglise. Celle-ci est
prise et éprise dans son cœur de son bien-aimé. Il y a de belles choses dans le
monde, mais aucune d’elles ne surpasse en joliesse l’Eglise. Elle est la beauté
par excellence, une jeune fiancée sans défaut et sans tache : cf Ephésiens 5,25 à 27. Aussi, est-il inconcevable pour
Satan que celle-ci ne lui soit pas donnée. Il faut qu’il la séduise, qu’il
détourne son cœur de Celui qui le captive. Quel coup il porterait à Dieu s’il y
arrivait ! Ce serait là sa plus grande victoire !
Viens avec moi du Liban, ma
chérie, viens avec moi du Liban !...
Viens avec moi du Liban, ma
chérie, viens avec moi du Liban !...
Déterminé à conquérir sa belle,
Salomon l’invite à gravir avec lui les montagnes qui se dressent au Nord de son
royaume. Du haut de leurs sommets, il veut qu’elle contemple le vaste pays sur
lequel elle règnera avec lui si elle consent à être sa reine. Si le parfum du
luxe ne l’enivre pas, il se dit peut-être que celui du pouvoir la grisera
suffisamment pour céder à ses avances. En son temps, le Seigneur Jésus lui-même
a été exposé à cette tentation. « Le diable, dit Luc, l’emmena plus haut,
sur une haute montagne, et lui montra en un instant tous les royaumes de la
terre. Puis il lui dit : Je te donnerai toute cette puissance et la gloire
de ces royaumes, car elle m’a été donnée et je la donne à qui je veux. Si donc
tu te prosternes devant moi, elle sera toute à toi : Luc 4,5-7. » La similitude est frappante. Tout
y est : la montagne, le point de vue impressionnant, le contrat et sa
condition… Satan le sait : il y a peu d’hommes dans ce monde capable de
résister à l’appel du pouvoir. Pour lui, on est prêt à tout, jusqu’aux pires
trahisons. Peu de principes tiennent le coup face à la proposition alléchante d’une
élévation inespérée de sa personne. Seuls ceux qui savent la richesse qu’ils
ont en Christ, leur bien-aimé, n’y céderont pas.
Tu as volé mon cœur, ma sœur, ma
chérie ! Tu as volé mon cœur grâce à un seul de tes regards, grâce à un
seul des colliers de ton cou
Si l’amour est le sentiment le
plus fort que l’on puisse connaître, il est aussi cause de grandes souffrances.
Qui aime ne s’appartient plus. Il est captif de celui ou celle qui est l’objet
de son amour. L’amour nous vole ce qui était à nous pour en faire la possession
de l’autre. L’amour nous aliène au charme que l’autre opère sur nous. Un regard
de sa part, une chose qui l’évoque suffit pour susciter en nous un désir, une
passion qui dévore. L’amour crée un besoin. Alors que, jusque-là, nous nous
suffisions à nous-mêmes, ce n’est désormais plus le cas. L’être se sent tout à
coup amputé, incomplet sans l’autre. Salomon a raison de le dire. Aimer, c’est
subir un rapt. C’est devenir l’otage de l’autre. Car l’amour se saisit de
l’organe le plus vital de l’être : le cœur. A cause de l’emprise totale
qu’il exerce sur lui, l’amour ne comble le cœur que s’il est réciproque. Un
amour passionné sans correspondance ne peut que détruire. C’est un feu qui
consume sans être nourri et qui ne laisse derrière lui que des cendres. Béni
soit Dieu qui crée et suscite dans les cœurs l’amour mutuel. Seul l’amour peut
opérer le prodige de fusionner deux êtres en un seul, inséparable. Que l’homme
ne sépare pas ce que Dieu a joint : Matthieu 19,6.
Comme ton amour est beau, ma
sœur, ma chérie ! Ton amour est bien meilleur que le vin, le parfum de tes
huiles que tous les aromates !
Animé par la passion qui le dévore
pour la jeune fille, Salomon va, à 5 reprises dans sa déclaration d’amour,
l’appeler « ma sœur » : Cantique
4,9.10.12 ; 5,1.2. L’utilisation du terme n’a rien d’exceptionnel.
Elle correspond à l’usage courant qui en est fait dans la poésie amoureuse du
Proche-Orient ancien pour désigner une femme aimée. Cette appellation,
cependant, en dit long sur le lien qui unit un homme et une femme qui s’aime. Dans
toutes les traditions spirituelles, l’idée de l’incomplétude de l’homme sans la
femme, et vice-versa, est présente. Chaque être n’est en quelque sorte qu’une
moitié de personne et il aurait besoin de l’âme sœur pour se réaliser
pleinement. Selon Ines Martin qui a étudié le sujet, « l’âme sœur est
celle qui fera de notre vie un paradis et qui nous donnera le sentiment d’être
rejoint dans notre solitude… C’est la personne avec qui nous sommes en
connexion de la manière la plus profonde.[1] »
Il y a sans doute là quelque chose de la vérité que Salomon veut exprimer
au sujet de la jeune fille qu’il veut comme reine. Le jeune roi a eu déjà de
nombreuses partenaires, mais il n’a pas encore trouvé celle qu’il reconnaît
comme un vrai vis-à-vis. Or ici, avant Archimède, Salomon déclare, en côtoyant
la jeune fille : « Eurêka ! C’est elle avec que je veux
partager ma vie ! Je veux la voir siéger à mes côtés sur le trône. »
Il oublie pourtant que, pour qu’une telle unité se fasse, une condition doit
être remplie : celle de la réciprocité. Le sentiment de trouver en l’autre
son âme sœur n’a de sens que s’il est partagé. Et, manifestement ici, ce n’est
pas le cas.
Tes lèvres distillent le miel, ma
chérie. Il y a sous ta langue du miel et du lait, et l’odeur de tes habits est
pareille à celle du Liban.
Subjugué par les sentiments qui
agitent son cœur à l’égard de la jeune fille, Salomon abonde en métaphores pour
exprimer les douceurs qu’évoque à ses sens son amour. Roi d’Israël, Salomon, il
le sait, règne sur le plus beau des pays. Les qualificatifs pour le décrire ne
viennent pas des hommes, mais de Dieu lui-même. La terre d’Israël est le pays
des délices, pays où coulent le lait et le miel : Exode
3,8. Il en est ainsi parce que c’est le pays choisi par Dieu pour son
peuple, une terre pleine d’abondance qu’il a intentionnellement voulue pour lui.
La jeune fille est pour Salomon ce que la terre d’Israël est pour son peuple. Aussi
Salomon vole-t-il les mots de Dieu lui-même au sujet de cette terre pour les
appliquer à la suavité de son amour. Il n’y a pour lui, en termes de régal pour
les sens, rien au-dessus du bonheur que pourrait lui procurer ses baisers et
ses caresses. Elle est le don suprême de Dieu pour lui, la partenaire que Dieu
lui a choisie et qui ne peut que le ravir au plus haut degré. Toutes ses senteurs
fleurent le sucré, goût associé parmi les peuples du Proche-Orient aux délices
de l’amour.
Salomon a commencé son éloge de
la jeune fille en décrivant sa perfection esthétique. Il l’a invité ensuite à
contempler le magnifique pays sur lequel il règne. Il a témoigné qu’il a trouvé
en elle son âme sœur. Il termine ici en évoquant l’onctuosité que sont ses
baisers pour lui, un délice semblable à la terre d’Israël pour son peuple. Quels
effets ont produit toutes ces paroles sur la jeune fille ? Le verset
suivant nous en donne le constat.
Tu es un jardin privé, ma sœur,
ma chérie, une fontaine fermée, une source réservée.
Aussi pressantes que soient les
avances de Salomon, il doit faire le constat qu’elles ne portent pas le fruit
espéré. La jeune fille reste hermétique à ses efforts de conquête. Le jeune roi
peut lui faire miroiter tout ce qu’il veut et lui déclamer les plus belles
paroles. Le cœur de sa belle ne lui est toujours pas accessible. L’effet des
baisers qu’il lui volent ne dépassent pas la porte de ses lèvres. Ils ont
peut-être pour lui les douceurs sucrées que le palais apprécie. Chez elle, ils
ne produisent rient de tel. Le jardin de délices que représente la jeune fille pour
lui reste fermé. C’est un paradis qui ne lui est pas promis, mais qui est
réservé au véritable élu de son cœur. C’est une propriété privée dont elle
seule a la clé. Salomon devra tôt ou tard s’y résigner : l’ouverture d’un
cœur à l’amour ne peut être forcée de l’extérieur. C’est un mouvement qui vient
de l’intérieur. Il jaillit du plus profond de l’être, vainc toutes les
résistances et produit sans force l’abandon qui conduit à l’union. Toute
tentative de passer par un autre chemin n’est pas de l’amour, mais s’assimile
au viol.
Le mystère de l’amour rejoint
celui de Dieu, de ses actions secrètes dans les cœurs. Comment sommes-nous devenus
croyants ? Qu’est-ce qui a fait que notre cœur hostile à Dieu soit soudain
acquis à sa bonté ? Jésus l’a dit : c’est le résultat de l’œuvre
mystérieuse et souveraine de l’Esprit. Il est la seule puissance capable de
fléchir et disposer les cœurs à sa volonté. Par lui, le jardin privé ouvre ses
portes, la fontaine fermée livre ses eaux. La source fait jaillir des torrents
d’eaux qui coulent jusque dans la vie éternelle : Jean
7,37 ; 4,14. Qu’à ce grand fleuve qui passe, nous nous abandonnions
sans réserve !
Tes pousses sont un jardin de
grenadiers aux fruits les meilleurs. ON y trouve réunis du henné et du nard,
nard et safran, roseau aromatique et cinnamome…
Après le champ visuel, le jeune
roi transpose les métaphores qu’il choisit pour décrire ce que lui évoque la
jeune fille dans celui du goût. L’emploi des images utilisées par Salomon nous
renvoie au quotidien culinaire de l’Orient. Ici, la fadeur des aliments n’existe
pas. Tout est relevé et accompagné par la saveur d’épices, savamment choisies
pour charmer les papilles. Le henné renvoie à un arbuste de la région d’Israël
dont les fleurs aromatiques ont la forme de grappes serrées. Le nard est une
huile odorante extraite d’une plante vivace qui pousse en Inde. Le safran est
une plante de la famille des crocus dont les fleurs blanches ou mauves séchées
sont utilisées pour épicer les plats. Aux saveurs des épices, Salomon, pour
vanter sa belle, ajoute la senteur des meilleurs parfums. Le roseau aromatique
était utilisé dans la fabrication de l’huile d’onction sainte et dans l’encens :
Exode 30,23.25 ; Esaïe 43,23-24. Le
cinnamome est décrit comme une arme de séduction, tout comme l’aloès et la
myrrhe : Proverbes 7,17 ; Psaume 45,9.
Tout ce qui respire du corps, de l’être de la jeune fille à le goût, l’odeur et
la couleur du paradis. Salomon en est sûr. Il peut faire le tour de la terre.
Il ne trouvera personne qui puisse enchanter ses sens autant que la jeune
fille. Par elle, l’indicible et l’exquis sont atteints. S’en voir priver ne
peut que lui occasionner une souffrance dont il ne se remettra pas.
Tu es la source des jardins, un
puits d’eau vive qui coule du Liban
La passion que Salomon éprouve
pour la jeune fille est si forte qu’il en vient à utiliser, pour décrire ce qu’elle
est pour lui, des métaphores qui s’appliquent à la Divinité. La jeune fille est
la source qui alimente le paradis de ses délices. Elle est un puits d’eau vive
porteur de vie. Le jeune roi attache à elle tant de voluptés qu’elle en vient à
évincer dans son âme toute ressource autre de bien-être. Comparer la femme de
son amour à une source bénie n’est pas nouveau dans l’Ecriture. Nous trouvons
déjà l’analogie sous la plume de Salomon dans le livre des Proverbes : cf Proverbes 5,15 à 19. Là où l’emploi de superlatifs
ne sied plus à la créature, c’est lorsque ceux-ci éclipsent les qualités
intrinsèques à la Divinité comme source de toute félicité. Car, quel que soit
le bonheur qu’une âme sœur puisse procurer, celui-ci ne peut durer ni répondre
à tous les besoins. Il n’y a abondance de joies que devant la face de Dieu seul,
et délices éternels à sa droite seulement : Proverbes
16,11. Lui seul est le puits d’eau vive duquel jaillit la vie qui coule
jusque dans l’éternité : Jean 4,10 ; 7,38.
Si beau, si fort soit le
sentiment amoureux, si exquis soient les plaisirs qu’il apporte, l’enfant de
Dieu veillera à ce qu’il ne dégénère pas en idolâtrie. Prétendre qu’il nous est
impossible de vivre ou d’être heureux sans l’être aimé, c’est reléguer Dieu à une
place accessoire qui le déshonore. La source de nos délices ne se trouve qu’en
lui. Le courant continu de l’eau vive qui, seule, désaltère notre âme, ne sort
que de son puits. Oui, celui qui trouve une femme trouve le bonheur, dit le
proverbe. Mais il ajoute : c’est une grâce qu’il obtient de l’Eternel :
Proverbes 18,22. Le don ne doit jamais
supplanter le Donateur. Il est, lui seul, le Père des lumières duquel descendent
toute grâce excellente et tout don parfait : Jacques
1,17.
V 16 : la
jeune fille
Lève-toi, vent du nord !
Viens, vent du sud ! Soufflez sur mon jardin et que ses aromates se
diffusent ! Que mon bien-aimé entre dans son jardin afin qu’il mange de
ses fruits les meilleurs !
Si la 1ère phrase du verset
16 est attribuée à Salomon par certains agenceurs du texte biblique, tous s’accordent
pour dire que la seconde émane de la bouche de la jeune fille. Par sa réplique
à Salomon, la jeune fille démontre toute l’intelligence dont elle est capable
dans la situation dans laquelle elle se trouve. Amoureuse de son berger, elle
aurait pu s’irriter des envolées ardentes du jeune roi, décidé à la conquérir. Elle
choisit de réagir selon la technique propre à l’aïkido, technique qui consiste
à utiliser la force de l’autre pour le repousser. Au lieu de s’opposer à lui,
elle utilise les louanges que Salomon lui a prodiguée comme carte d’invitation
adressée à l’élu de son cœur. Si la jeune fille est tout ce que Salomon dit d’elle,
c’est à son bien-aimé qu’elle veut offrir le jardin magnifique qu’est sa
personne. Le but de l’amour est d’offrir à l’être aimé ce qu’on a de meilleur. Puisque,
selon le jeune roi, la jeune fille n’a pas son pareille en beauté et en
délices, que ce soit son bien-aimé qui jouisse de ses charmes. Salomon ne doit
pas s’étonner de cette réaction. Il l’a déjà constaté. La jeune fille, a-t-il
dit, est un jardin privé, une fontaine fermée, une source réservée : v 12. Les coups de boutoirs de ses assauts amoureux n’y
changeront rien. Son cœur n’est pas libre, mais affecté à un autre. Lui seul
possède la clé qui permet de goûter à son amour.
Ch 5,1 : le
jeune homme
J’entre dans mon jardin, ma sœur,
ma chérie. Je cueille ma myrrhe et mes aromates…
Imitant la jeune fille, Salomon
se saisit de l’invitation qu’elle adresse à son bien-aimé pour se l’approprier.
Bien que simulant l’ignorance, il n’est pas dupe. Il sait que, dans sa bouche,
l’appellation sous laquelle elle désigne celui qu’elle aime ne lui est pas
destinée. Le bien-aimé est celui dont le lit est fait de verdure, il est comme
un pommier au milieu des arbres de la forêt : Cantique
1,16 ; 2,3. Le bien-aimé est un berger qui, lorsqu’il la visite,
franchit les montagnes comme les gazelles et les faons des biches : Cantique 2,8-9.16. C’est à lui seul que la jeune fille
veut se donner : Cantique 2,16. A lui seul
revient le droit de se reposer entre ses seins : Cantique
1,12. Lui seul a la clé pour ouvrir la porte fermée du jardin de ses
charmes et en manger les fruits excellents : Cantique
4,16.
Malgré la clarté des propos de la
jeune fille au sujet de celui qui est l’élu de son cœur, Salomon, à la fin de
cette 3ème rencontre, ne lâche rien. Il veut à tout prix que
celle-ci soit sienne et il travaillera jusqu’au bout à éclipser dans son esprit
l’image, la figure de son concurrent. A la lumière de ce combat, nous
comprenons mieux l’exhortation de Paul à Timothée au sujet de son Seigneur :
« Souviens-toi de Jésus-Christ, issu de la postérité de David,
ressuscité des morts selon mon Evangile : 2
Timothée 2,8. » Se peut-il que Timothée oublie Jésus, à qui il
doit son salut ? Cela semble, à première vue, inconcevable. L’avertissement
de Paul est une preuve de sa lucidité. Il a vu dans la vie de certains de ses
collaborateurs, tel Démas, l’effet que produit l’attrait du monde, de ses
richesses et de ses plaisirs. « Démas, dit-il, m’a abandonné par amour
pour le siècle présent : 2 Timothée 4,10. »
De nombreux Démas, aujourd’hui encore, séduits par les artifices et les
promesses du prince de ce monde, s’éloignent de Jésus et l’oublient. Qu’envers
et contre tout, la forteresse de notre cœur lui soit réservée !
5,2 : Les
filles de Jérusalem
Mangez, amis, buvez, enivrez-vous
d’amour !
Nous ne savons pas si cette
portion de phrase, qui sert de conclusion au 3ème acte du cantique,
est prononcée par le jeune homme ou son entourage. L’idée que l’invitation
transmet est que les amis du jeune homme, invités à la noce, ne fassent preuve
d’aucune retenue, mais participent pleinement à la joie de la fête. La tonalité
de ce moment, cela se comprend, doit être la même chez tous. Les invités d’une noce
ne sont pas là pour faire de la figuration. Par leur présence et leur
contribution, ils sont partie prenante de l’esprit de la fête et concourent à
sa réussite. La noce est ce moment privilégié au cours duquel tous les amis du couple
sont unis pour célébrer ensemble la joie des futurs époux. Ni la tristesse, ni
aucune réticence n’y ont leur place. C’est ici ce que les jeunes filles qui
entourent le roi demandent aux invités. Mais la question demeure : qu’en
est-il de la mariée ? Quels sentiments, quelles pensées l’habitent dans ce
jour d’euphorie spécialement préparé pour elle ? Le prochain acte de la
pièce va nous le dire.
[1] Charles
Dolifus : De la nature humaine : 1868
[1] Charles
Baudelaire, le Spleen de Paris : Petits poèmes en prose
[1] Bible
avec Notes d’études archéologiques, page 972
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