mardi 1 juin 2021

3ème RENCONTRE

 

3ème RENCONTRE : 3,6 à 5,1

Le 1er acte de la pièce inspirée mettant en scène le dilemme amoureux qui en est l’objet, introduit les personnages de la tragédie. Une jeune fille de basse condition est désirée par un jeune homme riche pour sa beauté. Mais le cœur de celle-ci appartient à un autre : un berger qui garde ses troupeaux dans les montagnes. La jeune fille est introduite dans les appartements luxueux du jeune homme. Le processus est en route, inéluctable. Elle lui est destinée contre son gré. Le 2ème acte nous relate le contenu d’un rêve fait par la jeune fille. Dans la maison de son soupirant, elle imagine une rencontre avec l’élu de son cœur. Le berger a quitté son troupeau. Il a franchi des montagnes pour frapper à sa porte. Il se tient là, l’appelle à sortir pour profiter des beautés du printemps. La jeune fille hésite. Le bien-aimé fait mine de partir. Lorsqu’elle se lève, il n’est plus là. Comme une folle, elle parcourt les rues de la ville à sa recherche. Elle rencontre les gardes qui font une ronde, et les interroge. Puis, soudain, le bien-aimé de son cœur est devant elle. Elle le saisit et ne le lâche plus. Elle le conduit dans la chambre nuptiale de sa mère pour signifier à tous qu’il est, lui, l’élu de son cœur. Le 3ème acte est l’heure de l’épreuve. La jeune fille est installée sur la litière de Salomon, son soupirant. Tout est grandiose, majestueux, impressionnant. Les futurs époux sont en route pour les noces. L’amour de la jeune fille pour son berger va-t-il résister ? Ou finira-t-elle par consentir à épouser le jeune homme de lignée royale qui veut faire d’elle sa reine ?

A la lumière de la teneur du 3ème acte, nous comprenons la valeur du second. Enfermée en elle-même, la jeune fille s’est coupé des attraits du lieu où elle se trouvait. Elle a affermi sa position. Sa décision est prise : son bien-aimé est à elle et elle à lui. Son cœur n’est plus libre. Il n’a pas de place pour quelqu’un d’autre. Il n’y a qu’un objet à son amour. Quelque part, il lui fallait passer par là pour le savoir. Ses défenses intérieures sont fortifiées. Elle ne peut éviter l’épreuve qui est devant elle, mais elle est prête à l’affronter. La préparation de la bien-aimée à ce qui l’attend nous parle de la pédagogie de Dieu en vue de la formation de ses serviteurs. Chacun d’eux devra tôt ou tard entrer dans l’arène, connaître ce moment décisif au cours duquel le destin peut basculer dans un sens ou un autre. Dans la fournaise, le serviteur de Dieu n’est pas livré à lui-même. La vraie bataille, comme celle de Jésus à Gethsémané, a eu lieu en lui, avant la confrontation. Ce qui s’est passé dans le secret de son cœur entre lui et Dieu dans le désert, l’a rendu apte à relever le défi de cette heure, son heure. Il se peut que nous ne comprenions pas toujours les moments de solitude difficiles par lesquels Dieu nous fait passer. Dieu connaît, lui, ce qui les suivra. Il sait que, sans eux, nous ne tiendrions pas. Avant d’être concrétisée à l’extérieur, les victoires se gagnent à l’intérieur. Pour la jeune fille, l’heure est venue d’entrer dans l’arène sous le regard de milliers de spectateurs…

Qui donc monte du désert comme des colonnes de fumée, au milieu des vapeurs de myrrhe et d’encens et de tous les aromates des marchands ? Voici la litière de Salomon…

Nous retrouvons, pour le 3ème acte du cantique, la jeune fille dans une position qu’elle n’a jamais connue. « Lors d’un mariage juif au début de l’ère chrétienne, le mari portait une couronne de cérémonie et accueillait son épouse qui faisait son entrée sur une chaise à porteurs… L’entourage de la mariée formait également une procession musicale… La mariée était parée de vêtements brodés et de bijoux.[1] » Si un tel protocole d’honneur marquait l’union entre deux israélites issus du peuple, nous pouvons imaginer la somptuosité du cortège royal qui déambulait au milieu de la foule en liesse. La question qui se pose ici est cruciale : comment le cœur de la jeune fille va-t-il réagir au faste dont elle est entourée ? L’éclat de son amour pour le berger de ses affections va-t-il se dissiper face à l’éblouissement de la fête donnée pour elle ? Car rien ne manque, ni n’a été laissé au hasard pour marquer les esprits. La jeune fille, portée sur sa litière, est l’objet de tous les regards. Elle peut savourer l’avant-goût de ce que sera sa vie si elle consent à épouser Salomon. Elle sera reine, l’objet de toutes les attentions. De multiples mains s’activeront autour d’elle pour répondre à tous ses désirs. Rien ne lui sera refusée pour parfaire sa beauté : vêtements magnifiques, parfums délicats. Quelle femme à Jérusalem ne souhaiterait être à sa place ?

… Et autour d’elle 60 hommes vaillants, parmi les plus vaillants d’Israël. Tous sont armés de l’épée…

Portée dans sa litière, la jeune fille bénéficie d’une faveur que lui envierait toute femme. Malgré la foule qui l’entoure, elle sait qu’elle ne risque rien pour sa vie. Une garde personnelle, composée de 60 des plus vaillants guerriers du roi, l’entoure. Elle est là pour assurer la protection de la future reine et veiller sur elle jour et nuit. Cette milice témoigne des engagements de Salomon à son égard pour l’avenir. Personne dans son royaume ne sera plus en sécurité que la future reine. Parce qu’il est le roi, Salomon sait qu’il est le seul en mesure d’offrir une telle couverture à la jeune fille. L’amour romantique qui la lie à son berger dans ses rêves est beau. Mais la vie n’est pas un rêve. Elle est faite de dangers, de menaces. Que la jeune fille se réveille et revienne à la réalité ! Autour d’elle, elle a la démonstration de ce qui peut lui assurer repos et tranquillité. Un tel confort pour l’âme, une telle garantie de sûreté ne valent-ils pas la peine d’y réfléchir à deux fois ? Que peut donner son berger en échange d’une si grande caution ?

Le roi Salomon s’est fait une litière en bois du Liban. Il a fait ses colonnes en argent, son dossier en or, son siège en pourpre. L’intérieur est tout brodé, travail fait avec amour par les filles de Jérusalem

 Soucieux d’éblouir sa belle, le roi Salomon multiplie les artifices pour la conquérir. Le cœur de la jeune fille est à son berger, mais l’éveil de ses sens peut l’en détourner. Aux vapeurs de la myrrhe et de l’encens, à la sécurité que lui offre sa garde personnelle, Salomon ajoute aux attraits extérieurs destinés à la séduire la puissance qu’exerce le luxe. « Une qualité exceptionnelle et de l’émotion, beaucoup d’émotion, dit Bernard Catry, est la recette éprouvée du monde de luxe. Et l’émotion est souvent fondée sur le sentiment d’exclusivité, de rareté que procure la possession ou la consommation de ces objets exceptionnels.[1] » Le but de Salomon, en étalant sous les yeux de sa promise tant de luxe, est tout trouvé. Il est de l’inviter à délaisser son humble condition pour jouer désormais avec lui dans la cour des grands. Une promenade dans la campagne printanière peut être divertissante. Mais la belle qui se trouve dans sa litière est d’un autre rang qu’une fille de ferme. Elle est faite pour les belles colonnes des palais, les tapisseries magnifiques des salles d’apparat, les sièges de pourpre royale. La jeune fille ne l’a pas encore vu. Sa place est, non au milieu du peuple, mais avec l’élite. Elle est une personne qui sort du lot du commun. Le luxe qui lui est destiné ne jure en rien avec sa beauté. Il correspond à ce qui la distingue et la range dans la catégorie des êtres d’exception. Le statut de la jeune fille est celui d’une reine. Et, il faut qu’elle en prenne conscience au plus vite : rien n’est trop beau pour une souveraine !

Sortez, filles de Sion ! Regardez le roi Salomon avec sa couronne…

Tel un joueur de cartes qui dévoile petit à petit ses atouts, Salomon présente ici à la jeune fille sa dernière pièce, sa carte maîtresse. Elle est faite de l’admiration que suscite sa personne auprès des jeunes filles de Jérusalem. Le metteur en scène de l’acte 3 de la pièce qui se joue invite les jeunes filles de Sion à sortir pour contempler la splendeur royale du futur époux. Nous imaginons les soupirs, les exclamations de celles-ci à la vue du prince royal ceint de la couronne qui marque son rang. Quelle fille de Sion ne rêverait de siéger à ses côtés, de se trouver à la place de la jeune fille, en route vers son destin de reine ? N’entend-t-elle pas les cris enthousiastes des filles de son âge à la vue du spectacle dont elle est l’objet ? Ne voit-elle pas l’envie, la pointe de jalousie qui brille dans leurs yeux ? Aucune d’elles, c’est certain, ne serait sotte au point de décliner la perspective qui se profile devant elle !

La stratégie suivie par Salomon pour gagner le cœur de la jeune fille est typique de celle qu’use le monde pour rallier l’Epouse du Christ à lui. Le prince de ce monde ne supporte pas que quoi que ce soit échappe à son contrôle. Aussi n’hésitera-t-il pas à proposer à Jésus la domination mondiale, pourvu que celui-ci consente à se prosterner devant lui : Matthieu 8,4 à 10. Si Jésus cédait, il serait toujours là. Mais tout ce qu’il ferait se passerait, non en-dehors, mais sous son giron. Pour parvenir à ce but, il peut certes user de violence. Mais l’Ecriture témoigne que, dès l’origine, son arme de prédilection est la séduction. Satan a dû s’y résoudre. Jésus-Christ, le Fils de Dieu, est incorruptible. Mais l’Eglise, sa bien-aimée, n’est pas faite de la même pâte. Elle vit de son amour, mais elle reste humaine, sensible aux sirènes de la gloire, de la puissance ou du pouvoir. Malgré les tentatives faites pour la détruire, le prince de ce monde a échoué. Pour autant, la partie n’est pas perdue. Au lieu de l’évincer, pourquoi ne pas lui donner une place dans ce monde, la meilleure ? Une alliance entre l’épée et l’autel peut concrétiser l’accord ! L’Eglise sera la reine du monde et son prince assurera son existence par le luxe et le pouvoir des armes. Qu’elle y réfléchisse ! Qu’y-a-t-il de plus enviable pour elle ? Une vie cachée dans les ténèbres des catacombes ou la pourpre royale pour étendre sa souveraineté ? Certes, l’Eglise portera encore le nom de son bien-aimé ! Mais celui-ci sera banni de son cœur ! Que fera la jeune fille ? Va-t-elle se laisser étourdir ? Ou l’amour de son berger finira-t-il par triompher ?

Que tu es belle, mon amie, que tu es belle ! 

Le 3ème acte de la pièce du cantique fait écho au second. Le second acte nous a fait connaître ce qui, au fond d’elle, fait rêver la jeune fille. Eprise d’un berger, elle l’imaginait franchir montagnes et vallées pour venir à sa porte et l’inviter à jouir de sa compagnie dans la campagne printanière. Négligente à son appel, la jeune fille a mesuré toute l’angoisse que ressentait son âme à l’idée de le perdre. Elle s’est alors mise à sa recherche, s’exposant au danger, jusqu’à ce qu’elle le retrouve. Car dans son cœur, une seule chose prime désormais : être avec lui. La jeune fille a saisi qu’elle ne peut vivre sans lui. Une communion profonde les unit l’un à l’autre et, dans leur être intérieur, ils ne sont plus qu’un.

Le 3ème acte, comme le second, est fait d’un long monologue qui se termine par une parole de la part de celui qui en est le sujet. Tandis que dans le second, c’est la jeune fille qui parle et Salomon qui conclut, l’inverse se produit dans le 3ème. Le 3ème acte nous fait connaître les pensées de Salomon au sujet de la jeune fille. Il nous parle de ce qui le ravit chez elle et la jeune fille y apporte une conclusion. D’entrée, Salomon le dit : la beauté physique de la jeune fille est ce qui l’attire par-dessus tout. Il prend le temps de décrire ce qui le charme chez elle. Se faisant, il témoigne de la puissance d’attraction que représente le corps de la femme pour l’homme. Celle-ci le sait et en use souvent dans son désir de séduire. Ecoutons ce que dit Salomon sur les attraits physiques qu’il trouve à la jeune fille

Tes yeux sont comme des colombes derrière ton voile.

La première chose qui le frappe sont les yeux de la jeune fille. Pour la seconde fois, il les compare à des colombes : Cantique 1,15. Nous avons déjà évoqué ce que cette comparaison suggère. La colombe, avons-nous dit, est le symbole de la douceur et de l’innocence. Le regard de la jeune fille porte encore en lui la marque de l’enfance. Il n’a pas encore été terni par les souffrances de la vie. C’est cette virginité qui séduit le roi, lui qui, pourtant, se plaît par ailleurs à capitaliser ses conquêtes : Cantique 6,8.

Tes cheveux sont pareils à un troupeau de chèvres bondissant sur les montagnes de Galaad.

Après les yeux, le second élément du physique de la jeune fille qui séduit Salomon est sa chevelure. Les cheveux de la belle lui font penser aux chèvres noires du pays de Canaan qui dévalent les montagnes en bondissant. La chevelure d’une femme, dit Paul, lui sert de voile : 1 Corinthiens 11,15. Elle est l’apparat naturel que Dieu lui a donné pour mettre en valeur sa féminité et tenir sa place dans les assemblées. Dans toutes les cultures, les cheveux ont toujours été l’une des parties les plus symboliques du corps humain. Leur longueur, leur couleur ou leur structure varient selon leurs populations. Mais chez tous, la chevelure a valeur de protection, de beauté ou d’identification. Chez la femme, elle possède de plus une connotation sensuelle innée. En Inde, les femmes mariées doivent toujours porter les cheveux attachés ou nattés. Le moment où ils sont détachés sont réservés à la stricte intimité, tant ce geste est empreint de sensualité dans la culture indienne. Charles Baudelaire est, parmi les poètes, celui qui a peut-être le mieux décrit quels effets les cheveux de la femme produisent sur l’homme :

« Laisse-moi respirer longtemps, longtemps, l'odeur de tes cheveux, y plonger tout mon visage, comme un homme altéré dans l'eau d'une source, et les agiter avec ma main comme un mouchoir odorant, pour secouer des souvenirs dans l'air. Si tu pouvais savoir tout ce que je vois ! Tout ce que je sens ! Tout ce que j'entends dans tes cheveux ! Mon âme voyage sur le parfum comme l'âme des autres hommes sur la musique. Tes cheveux contiennent tout un rêve, plein de voilures et de mâtures ; ils contiennent de grandes mers dont les moussons me portent vers de charmants climats, où l'espace est plus bleu et plus profond, où l'atmosphère est parfumée par les fruits, par les feuilles et par la peau humaine. Dans l'océan de ta chevelure, j'entrevois un port fourmillant de chants mélancoliques, d'hommes vigoureux de toutes nations et de navires de toutes formes découpant leurs architectures fines et compliquées sur un ciel immense où se prélasse l'éternelle chaleur. Dans les caresses de ta chevelure, je retrouve les langueurs des longues heures passées sur un divan, dans la chambre d'un beau navire, bercées par le roulis imperceptible du port, entre les pots de fleurs et les gargoulettes rafraîchissantes. Dans l'ardent foyer de ta chevelure, je respire l'odeur du tabac mêlé à l'opium et au sucre ; dans la nuit de ta chevelure, je vois resplendir l'infini de l'azur tropical ; sur les rivages duvetés de ta chevelure je m'enivre des odeurs combinées du goudron, du musc et de l'huile de coco. Laisse-moi mordre longtemps tes tresses lourdes et noires. Quand je mordille tes cheveux élastiques et rebelles, il me semble que je mange des souvenirs.[1]

Tes dents sont un troupeau de brebis tondues qui remontent du lavoir : chacune a sa jumelle, aucune d’elles n’est seule.

Faisant le tour du visage de la jeune fille, Salomon ne pouvait pas ne pas remarquer sa belle dentition. Les femmes qui ont de belles dents, dit Charles Dolifus, sont également vouées au sourire, et cela n’est pas sans influence sur leur caractère : avoir de belles dents rend agréable.[1] » Ce n’est que par le sourire, en effet, que la dentition se révèle. L’alignement parfait des dents de la jeune fille, leur correspondance exacte constatée par le jeune roi témoigne d’un trait propre à la jeune fille : elle est souriante. La gaieté qui l’habite la rend solaire et augmente le charme de son visage. « Un sourire, disait l’Abbé Pierre, coûte moins cher que l’électricité, mais donne autant de lumière. »

Tes lèvres sont comme un liseré cramoisi et ta bouche est charmante. Derrière ton voile, ta joue est comme une moitié de grenade.

A proximité des dents de la jeune fille, le regard de Salomon s’arrêta sur ses lèvres. Par leur riche coloration et leur fine découpure, elles lui font penser à un liseré écarlate. Ensemble, dents et lèvres donnent à la bouche de la jeune fille un aspect charmant. De chaque côté de la bouche, ses joues arrondies évoquent la grenade, fruit reconnaissable à sa couleur rouge vif. Le caractère écarlate des joues de la jeune fille interroge. Est-ce là leur couleur naturelle ? Où cet accès de rougeur témoigne-t-il chez elle de la gêne qu’elle éprouve au sujet de la situation dans laquelle elle se trouve ? Il n’est agréable pour personne d’être l’objet du regard des autres dans un contexte que l’on n’a pas voulu. Nous pouvons essayer de cacher notre embarras. Mais le corps a mille moyens de révéler les émotions qui nous agitent. Le rougissement des joues de la jeune fille trahit le malaise qui l’habite.

Ton cou est pareil à la tour de David, construite pour être un arsenal : mille boucliers y sont suspendus, tous les boucliers des héros.

Après avoir scruté le visage de la jeune fille, le regard du jeune roi descend vers la partie du corps qui le supporte : le cou. Outre sa fonction physiologique, le cou est l’endroit où les femmes de toutes les cultures se parent de leurs ornements. La jeune fille n’échappe pas à cette règle esthétique. Les colliers qui l’entourent évoquent au cœur de Salomon la tour de David, à Jérusalem, où était suspendue les boucliers d’or exposés par le roi comme trophées de ses victoires contre le roi de Syrie : 2 Samuel 8,3-7. En y songeant, peut-être Salomon espère-t-il y mettre le sien, lui qui a déjà tant conquis de cœurs féminins…

Tes deux seins sont comme deux faons, comme les jumeaux d’une gazelle qui broutent au milieu des lis.

Arrivé au cou, il était inévitable que les yeux de Salomon ne se portent sur la poitrine de la jeune fille. A la différence des autres parties du corps qu’il a décrites, Salomon n’a pas vu les seins de celle-ci. Sous les vêtements qu’elle porte, il les devine. La comparaison évoquée, deux jeunes faons, suppose sa jeunesse. La poitrine de la jeune fille n’est pas encore pleinement formée. Elle est encore en croissance. Parmi tous les attraits que possède la femme, l’Ecriture souligne la puissance érotique qu’exerce sur l’homme ses seins. Les seins de la femme sont réservés aux baisers et aux caresses de son époux. Ils comptent parmi les charmes qui agrémentent le plaisir de l’union conjugale : Proverbes 5,18-19.  Salomon peut se réjouir d’avance de la beauté pubère de la poitrine de la jeune fille. Mais elle ne sera sienne que si le mariage a lieu.

V 6 : la jeune fille

Avant que la brise du jour ne souffle et que les ombres ne fuient, j’irai à la montagne de la myrrhe et à la colline de l’encens.

Le parcours du regard de Salomon l’a conduit de l’admiration des cheveux de la jeune fille à sa poitrine. Se faisant, sa parole s’est faite plus intrusive. Le roi ne se contente plus de décrire les généralités visibles de son aspect physique. Il s’aventure vers ses parties intimes, celles qui sont destinées à l’élu de son cœur au jour de leur union. A l’écoute des propos de Salomon, la jeune fille ne peut rester muette. Il ne s’agit pas pour elle de reprendre vertement le roi. Sa position ne le lui permet pas. Elle tient cependant à ce qu’il sache à quoi s’en tenir au sujet des attentes induites qu’il exprime. Si le roi espère que la jeune fille deviendra sienne en conclusion de la journée, qu’il se détrompe. Avant que le soleil ne se retire, la jeune fille quittera la prison dorée qu’il lui a préparée pour s’enfuir dans les montagnes respirer le parfum qu’exhale son bien-aimé : cf Cantique 1,12. Tous les trésors de séductions et de flatteries que le roi a déployés n’ont rien changé à la disposition de son cœur. Ils ne peuvent rivaliser avec l’attrait qu’exerce son bien-aimé sur elle. Si d’autres jeunes filles rêveraient d’être à sa place, elle ne songe qu’à une chose : quitter au plus vite le décorum royal duquel elle est captive pour retrouver sa liberté et être avec lui, le berger de son cœur. Ici déjà, Salomon doit se préparer à apprendre la leçon qui sera la conclusion du cantique : les grandes eaux ne peuvent éteindre l’amour, ni les fleuves le submerger. Même si un homme offrait tous les biens de sa maison contre l’amour, il ne s’attirerait que le mépris : Cantique 8,7. »

V 7 à 15 : le jeune homme

Tu es toute belle, mon amie, il n’y a aucun défaut en toi

Nul doute que le roi Salomon a eu l’occasion dans son entourage de côtoyer et d’admirer nombre de femmes pour leur beauté. Pourtant, il l’affirme : la jeune fille qu’il convoite ici comme épouse les surpasse toutes. Il ne voit en elle aucun défaut. Ses proportions sont parfaites. Tous ses traits s’arrangent pour offrir à son regard le plus magnifique des tableaux. Une telle perfection esthétique, pense-t-il, ne peut convenir qu’à une reine. La splendeur même de la jeune fille dit pour quel destin elle est faite.

Nous sommes dans un monde qui regorge de la beauté de la création de Dieu. Toutes les merveilles que Dieu a faites servent à un but : célébrer sa gloire, magnifier son nom. Il y a cependant quelqu’un qui ne l’entend pas de cette oreille. Désireux de supplanter le Créateur, il cherche à accaparer pour lui tout ce qui lui appartient. Le diable n’est pas qu’un menteur, il est aussi voleur. Sa vanité sans limite le pousse à convoiter ce qu’il y a de plus excellent dans tous les domaines pour se l’asservir. Jaloux de Dieu, il travaille à diminuer sa gloire en augmentant la sienne par l’usurpation. L’Eglise, la promise de Jésus-Christ, est pour lui une cible de choix. Le diable a autorité sur tous les peuples et les nations. Mais il sait que ce n’est pas le cas de l’Eglise. Celle-ci est prise et éprise dans son cœur de son bien-aimé. Il y a de belles choses dans le monde, mais aucune d’elles ne surpasse en joliesse l’Eglise. Elle est la beauté par excellence, une jeune fiancée sans défaut et sans tache : cf Ephésiens 5,25 à 27. Aussi, est-il inconcevable pour Satan que celle-ci ne lui soit pas donnée. Il faut qu’il la séduise, qu’il détourne son cœur de Celui qui le captive. Quel coup il porterait à Dieu s’il y arrivait ! Ce serait là sa plus grande victoire !

Viens avec moi du Liban, ma chérie, viens avec moi du Liban !...

Viens avec moi du Liban, ma chérie, viens avec moi du Liban !...

Déterminé à conquérir sa belle, Salomon l’invite à gravir avec lui les montagnes qui se dressent au Nord de son royaume. Du haut de leurs sommets, il veut qu’elle contemple le vaste pays sur lequel elle règnera avec lui si elle consent à être sa reine. Si le parfum du luxe ne l’enivre pas, il se dit peut-être que celui du pouvoir la grisera suffisamment pour céder à ses avances. En son temps, le Seigneur Jésus lui-même a été exposé à cette tentation. « Le diable, dit Luc, l’emmena plus haut, sur une haute montagne, et lui montra en un instant tous les royaumes de la terre. Puis il lui dit : Je te donnerai toute cette puissance et la gloire de ces royaumes, car elle m’a été donnée et je la donne à qui je veux. Si donc tu te prosternes devant moi, elle sera toute à toi : Luc 4,5-7. » La similitude est frappante. Tout y est : la montagne, le point de vue impressionnant, le contrat et sa condition… Satan le sait : il y a peu d’hommes dans ce monde capable de résister à l’appel du pouvoir. Pour lui, on est prêt à tout, jusqu’aux pires trahisons. Peu de principes tiennent le coup face à la proposition alléchante d’une élévation inespérée de sa personne. Seuls ceux qui savent la richesse qu’ils ont en Christ, leur bien-aimé, n’y céderont pas.

Tu as volé mon cœur, ma sœur, ma chérie ! Tu as volé mon cœur grâce à un seul de tes regards, grâce à un seul des colliers de ton cou

Si l’amour est le sentiment le plus fort que l’on puisse connaître, il est aussi cause de grandes souffrances. Qui aime ne s’appartient plus. Il est captif de celui ou celle qui est l’objet de son amour. L’amour nous vole ce qui était à nous pour en faire la possession de l’autre. L’amour nous aliène au charme que l’autre opère sur nous. Un regard de sa part, une chose qui l’évoque suffit pour susciter en nous un désir, une passion qui dévore. L’amour crée un besoin. Alors que, jusque-là, nous nous suffisions à nous-mêmes, ce n’est désormais plus le cas. L’être se sent tout à coup amputé, incomplet sans l’autre. Salomon a raison de le dire. Aimer, c’est subir un rapt. C’est devenir l’otage de l’autre. Car l’amour se saisit de l’organe le plus vital de l’être : le cœur. A cause de l’emprise totale qu’il exerce sur lui, l’amour ne comble le cœur que s’il est réciproque. Un amour passionné sans correspondance ne peut que détruire. C’est un feu qui consume sans être nourri et qui ne laisse derrière lui que des cendres. Béni soit Dieu qui crée et suscite dans les cœurs l’amour mutuel. Seul l’amour peut opérer le prodige de fusionner deux êtres en un seul, inséparable. Que l’homme ne sépare pas ce que Dieu a joint : Matthieu 19,6.

Comme ton amour est beau, ma sœur, ma chérie ! Ton amour est bien meilleur que le vin, le parfum de tes huiles que tous les aromates !

Animé par la passion qui le dévore pour la jeune fille, Salomon va, à 5 reprises dans sa déclaration d’amour, l’appeler « ma sœur » : Cantique 4,9.10.12 ; 5,1.2. L’utilisation du terme n’a rien d’exceptionnel. Elle correspond à l’usage courant qui en est fait dans la poésie amoureuse du Proche-Orient ancien pour désigner une femme aimée. Cette appellation, cependant, en dit long sur le lien qui unit un homme et une femme qui s’aime. Dans toutes les traditions spirituelles, l’idée de l’incomplétude de l’homme sans la femme, et vice-versa, est présente. Chaque être n’est en quelque sorte qu’une moitié de personne et il aurait besoin de l’âme sœur pour se réaliser pleinement. Selon Ines Martin qui a étudié le sujet, « l’âme sœur est celle qui fera de notre vie un paradis et qui nous donnera le sentiment d’être rejoint dans notre solitude… C’est la personne avec qui nous sommes en connexion de la manière la plus profonde.[1] » Il y a sans doute là quelque chose de la vérité que Salomon veut exprimer au sujet de la jeune fille qu’il veut comme reine. Le jeune roi a eu déjà de nombreuses partenaires, mais il n’a pas encore trouvé celle qu’il reconnaît comme un vrai vis-à-vis. Or ici, avant Archimède, Salomon déclare, en côtoyant la jeune fille : « Eurêka ! C’est elle avec que je veux partager ma vie ! Je veux la voir siéger à mes côtés sur le trône. » Il oublie pourtant que, pour qu’une telle unité se fasse, une condition doit être remplie : celle de la réciprocité. Le sentiment de trouver en l’autre son âme sœur n’a de sens que s’il est partagé. Et, manifestement ici, ce n’est pas le cas.

Tes lèvres distillent le miel, ma chérie. Il y a sous ta langue du miel et du lait, et l’odeur de tes habits est pareille à celle du Liban.

Subjugué par les sentiments qui agitent son cœur à l’égard de la jeune fille, Salomon abonde en métaphores pour exprimer les douceurs qu’évoque à ses sens son amour. Roi d’Israël, Salomon, il le sait, règne sur le plus beau des pays. Les qualificatifs pour le décrire ne viennent pas des hommes, mais de Dieu lui-même. La terre d’Israël est le pays des délices, pays où coulent le lait et le miel : Exode 3,8. Il en est ainsi parce que c’est le pays choisi par Dieu pour son peuple, une terre pleine d’abondance qu’il a intentionnellement voulue pour lui. La jeune fille est pour Salomon ce que la terre d’Israël est pour son peuple. Aussi Salomon vole-t-il les mots de Dieu lui-même au sujet de cette terre pour les appliquer à la suavité de son amour. Il n’y a pour lui, en termes de régal pour les sens, rien au-dessus du bonheur que pourrait lui procurer ses baisers et ses caresses. Elle est le don suprême de Dieu pour lui, la partenaire que Dieu lui a choisie et qui ne peut que le ravir au plus haut degré. Toutes ses senteurs fleurent le sucré, goût associé parmi les peuples du Proche-Orient aux délices de l’amour.

Salomon a commencé son éloge de la jeune fille en décrivant sa perfection esthétique. Il l’a invité ensuite à contempler le magnifique pays sur lequel il règne. Il a témoigné qu’il a trouvé en elle son âme sœur. Il termine ici en évoquant l’onctuosité que sont ses baisers pour lui, un délice semblable à la terre d’Israël pour son peuple. Quels effets ont produit toutes ces paroles sur la jeune fille ? Le verset suivant nous en donne le constat.

Tu es un jardin privé, ma sœur, ma chérie, une fontaine fermée, une source réservée.

Aussi pressantes que soient les avances de Salomon, il doit faire le constat qu’elles ne portent pas le fruit espéré. La jeune fille reste hermétique à ses efforts de conquête. Le jeune roi peut lui faire miroiter tout ce qu’il veut et lui déclamer les plus belles paroles. Le cœur de sa belle ne lui est toujours pas accessible. L’effet des baisers qu’il lui volent ne dépassent pas la porte de ses lèvres. Ils ont peut-être pour lui les douceurs sucrées que le palais apprécie. Chez elle, ils ne produisent rient de tel. Le jardin de délices que représente la jeune fille pour lui reste fermé. C’est un paradis qui ne lui est pas promis, mais qui est réservé au véritable élu de son cœur. C’est une propriété privée dont elle seule a la clé. Salomon devra tôt ou tard s’y résigner : l’ouverture d’un cœur à l’amour ne peut être forcée de l’extérieur. C’est un mouvement qui vient de l’intérieur. Il jaillit du plus profond de l’être, vainc toutes les résistances et produit sans force l’abandon qui conduit à l’union. Toute tentative de passer par un autre chemin n’est pas de l’amour, mais s’assimile au viol.

Le mystère de l’amour rejoint celui de Dieu, de ses actions secrètes dans les cœurs. Comment sommes-nous devenus croyants ? Qu’est-ce qui a fait que notre cœur hostile à Dieu soit soudain acquis à sa bonté ? Jésus l’a dit : c’est le résultat de l’œuvre mystérieuse et souveraine de l’Esprit. Il est la seule puissance capable de fléchir et disposer les cœurs à sa volonté. Par lui, le jardin privé ouvre ses portes, la fontaine fermée livre ses eaux. La source fait jaillir des torrents d’eaux qui coulent jusque dans la vie éternelle : Jean 7,37 ; 4,14. Qu’à ce grand fleuve qui passe, nous nous abandonnions sans réserve !

Tes pousses sont un jardin de grenadiers aux fruits les meilleurs. ON y trouve réunis du henné et du nard, nard et safran, roseau aromatique et cinnamome…

Après le champ visuel, le jeune roi transpose les métaphores qu’il choisit pour décrire ce que lui évoque la jeune fille dans celui du goût. L’emploi des images utilisées par Salomon nous renvoie au quotidien culinaire de l’Orient. Ici, la fadeur des aliments n’existe pas. Tout est relevé et accompagné par la saveur d’épices, savamment choisies pour charmer les papilles. Le henné renvoie à un arbuste de la région d’Israël dont les fleurs aromatiques ont la forme de grappes serrées. Le nard est une huile odorante extraite d’une plante vivace qui pousse en Inde. Le safran est une plante de la famille des crocus dont les fleurs blanches ou mauves séchées sont utilisées pour épicer les plats. Aux saveurs des épices, Salomon, pour vanter sa belle, ajoute la senteur des meilleurs parfums. Le roseau aromatique était utilisé dans la fabrication de l’huile d’onction sainte et dans l’encens : Exode 30,23.25 ; Esaïe 43,23-24. Le cinnamome est décrit comme une arme de séduction, tout comme l’aloès et la myrrhe : Proverbes 7,17 ; Psaume 45,9. Tout ce qui respire du corps, de l’être de la jeune fille à le goût, l’odeur et la couleur du paradis. Salomon en est sûr. Il peut faire le tour de la terre. Il ne trouvera personne qui puisse enchanter ses sens autant que la jeune fille. Par elle, l’indicible et l’exquis sont atteints. S’en voir priver ne peut que lui occasionner une souffrance dont il ne se remettra pas.

Tu es la source des jardins, un puits d’eau vive qui coule du Liban

La passion que Salomon éprouve pour la jeune fille est si forte qu’il en vient à utiliser, pour décrire ce qu’elle est pour lui, des métaphores qui s’appliquent à la Divinité. La jeune fille est la source qui alimente le paradis de ses délices. Elle est un puits d’eau vive porteur de vie. Le jeune roi attache à elle tant de voluptés qu’elle en vient à évincer dans son âme toute ressource autre de bien-être. Comparer la femme de son amour à une source bénie n’est pas nouveau dans l’Ecriture. Nous trouvons déjà l’analogie sous la plume de Salomon dans le livre des Proverbes : cf Proverbes 5,15 à 19. Là où l’emploi de superlatifs ne sied plus à la créature, c’est lorsque ceux-ci éclipsent les qualités intrinsèques à la Divinité comme source de toute félicité. Car, quel que soit le bonheur qu’une âme sœur puisse procurer, celui-ci ne peut durer ni répondre à tous les besoins. Il n’y a abondance de joies que devant la face de Dieu seul, et délices éternels à sa droite seulement : Proverbes 16,11. Lui seul est le puits d’eau vive duquel jaillit la vie qui coule jusque dans l’éternité : Jean 4,10 ; 7,38.

Si beau, si fort soit le sentiment amoureux, si exquis soient les plaisirs qu’il apporte, l’enfant de Dieu veillera à ce qu’il ne dégénère pas en idolâtrie. Prétendre qu’il nous est impossible de vivre ou d’être heureux sans l’être aimé, c’est reléguer Dieu à une place accessoire qui le déshonore. La source de nos délices ne se trouve qu’en lui. Le courant continu de l’eau vive qui, seule, désaltère notre âme, ne sort que de son puits. Oui, celui qui trouve une femme trouve le bonheur, dit le proverbe. Mais il ajoute : c’est une grâce qu’il obtient de l’Eternel : Proverbes 18,22. Le don ne doit jamais supplanter le Donateur. Il est, lui seul, le Père des lumières duquel descendent toute grâce excellente et tout don parfait : Jacques 1,17.

V 16 : la jeune fille

Lève-toi, vent du nord ! Viens, vent du sud ! Soufflez sur mon jardin et que ses aromates se diffusent ! Que mon bien-aimé entre dans son jardin afin qu’il mange de ses fruits les meilleurs !

Si la 1ère phrase du verset 16 est attribuée à Salomon par certains agenceurs du texte biblique, tous s’accordent pour dire que la seconde émane de la bouche de la jeune fille. Par sa réplique à Salomon, la jeune fille démontre toute l’intelligence dont elle est capable dans la situation dans laquelle elle se trouve. Amoureuse de son berger, elle aurait pu s’irriter des envolées ardentes du jeune roi, décidé à la conquérir. Elle choisit de réagir selon la technique propre à l’aïkido, technique qui consiste à utiliser la force de l’autre pour le repousser. Au lieu de s’opposer à lui, elle utilise les louanges que Salomon lui a prodiguée comme carte d’invitation adressée à l’élu de son cœur. Si la jeune fille est tout ce que Salomon dit d’elle, c’est à son bien-aimé qu’elle veut offrir le jardin magnifique qu’est sa personne. Le but de l’amour est d’offrir à l’être aimé ce qu’on a de meilleur. Puisque, selon le jeune roi, la jeune fille n’a pas son pareille en beauté et en délices, que ce soit son bien-aimé qui jouisse de ses charmes. Salomon ne doit pas s’étonner de cette réaction. Il l’a déjà constaté. La jeune fille, a-t-il dit, est un jardin privé, une fontaine fermée, une source réservée : v 12. Les coups de boutoirs de ses assauts amoureux n’y changeront rien. Son cœur n’est pas libre, mais affecté à un autre. Lui seul possède la clé qui permet de goûter à son amour.

Ch 5,1 : le jeune homme

J’entre dans mon jardin, ma sœur, ma chérie. Je cueille ma myrrhe et mes aromates…

Imitant la jeune fille, Salomon se saisit de l’invitation qu’elle adresse à son bien-aimé pour se l’approprier. Bien que simulant l’ignorance, il n’est pas dupe. Il sait que, dans sa bouche, l’appellation sous laquelle elle désigne celui qu’elle aime ne lui est pas destinée. Le bien-aimé est celui dont le lit est fait de verdure, il est comme un pommier au milieu des arbres de la forêt : Cantique 1,16 ; 2,3. Le bien-aimé est un berger qui, lorsqu’il la visite, franchit les montagnes comme les gazelles et les faons des biches : Cantique 2,8-9.16. C’est à lui seul que la jeune fille veut se donner : Cantique 2,16. A lui seul revient le droit de se reposer entre ses seins : Cantique 1,12. Lui seul a la clé pour ouvrir la porte fermée du jardin de ses charmes et en manger les fruits excellents : Cantique 4,16.

Malgré la clarté des propos de la jeune fille au sujet de celui qui est l’élu de son cœur, Salomon, à la fin de cette 3ème rencontre, ne lâche rien. Il veut à tout prix que celle-ci soit sienne et il travaillera jusqu’au bout à éclipser dans son esprit l’image, la figure de son concurrent. A la lumière de ce combat, nous comprenons mieux l’exhortation de Paul à Timothée au sujet de son Seigneur : « Souviens-toi de Jésus-Christ, issu de la postérité de David, ressuscité des morts selon mon Evangile : 2 Timothée 2,8. » Se peut-il que Timothée oublie Jésus, à qui il doit son salut ? Cela semble, à première vue, inconcevable. L’avertissement de Paul est une preuve de sa lucidité. Il a vu dans la vie de certains de ses collaborateurs, tel Démas, l’effet que produit l’attrait du monde, de ses richesses et de ses plaisirs. « Démas, dit-il, m’a abandonné par amour pour le siècle présent : 2 Timothée 4,10. » De nombreux Démas, aujourd’hui encore, séduits par les artifices et les promesses du prince de ce monde, s’éloignent de Jésus et l’oublient. Qu’envers et contre tout, la forteresse de notre cœur lui soit réservée !

5,2 : Les filles de Jérusalem

Mangez, amis, buvez, enivrez-vous d’amour !

Nous ne savons pas si cette portion de phrase, qui sert de conclusion au 3ème acte du cantique, est prononcée par le jeune homme ou son entourage. L’idée que l’invitation transmet est que les amis du jeune homme, invités à la noce, ne fassent preuve d’aucune retenue, mais participent pleinement à la joie de la fête. La tonalité de ce moment, cela se comprend, doit être la même chez tous. Les invités d’une noce ne sont pas là pour faire de la figuration. Par leur présence et leur contribution, ils sont partie prenante de l’esprit de la fête et concourent à sa réussite. La noce est ce moment privilégié au cours duquel tous les amis du couple sont unis pour célébrer ensemble la joie des futurs époux. Ni la tristesse, ni aucune réticence n’y ont leur place. C’est ici ce que les jeunes filles qui entourent le roi demandent aux invités. Mais la question demeure : qu’en est-il de la mariée ? Quels sentiments, quelles pensées l’habitent dans ce jour d’euphorie spécialement préparé pour elle ? Le prochain acte de la pièce va nous le dire.

[1] Charles Dolifus : De la nature humaine : 1868


[1] Charles Baudelaire, le Spleen de Paris : Petits poèmes en prose


[1] Bible avec Notes d’études archéologiques, page 972

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