samedi 29 mai 2021

2ème RENCONTRE

 

2ème RENCONTRE : 2,8 à 3,5

C’est la voix de mon bien-aimé !

Alors que la 1ère rencontre s’est faite de visu, c’est en rêve que se produit la seconde. Allongée sur son lit, la jeune fille imagine son bien-aimé quitter les pâturages où il se trouve avec son troupeau pour venir la visiter. Elle ne le voit pas encore, mais déjà elle entend sa voix qui l’appelle. Pour toute jeune fille amoureuse, le timbre de la voix du bien-aimé est unique. Même si celui-ci n’est pas là, le seul fait de l’entendre comble l’absence. La jeune fille du cantique n’avait pas à sa disposition les moyens que nous avons aujourd’hui. Elle ne pouvait, par un simple appel téléphonique, combler la distance qui la séparait de l’élu de son cœur. Aussi comprend-t-on bien les émotions que l’écho de la voix du bien-aimé suscite en elle. C’est tout son être qui est soulevé, remué à l’écoute de son appel. Sa voix lui dit qu’il est proche d’elle, qu’il se tient là tout près. Bientôt, c’est lui-même qu’elle va voir.

Comme la bien-aimée, l’âme des élus de Dieu est éprise d’un berger. Ce berger connait chacune de ses brebis. Il les appelle par son nom. De leur côté, celles-ci le reconnaissent par sa voix. Elles distinguent, parmi toutes celles qui sont à leur portée, son timbre de celui des étrangers. Même si ceux-ci les appellent par leur nom, elles ne bougeront pas. Il y a dans la voix du bon berger quelque chose d’unique, d’indéfinissable qui fait que, lorsqu’il parle, les brebis savent immédiatement que c’est leur pasteur qui s’adresse à elles : cf Jean 10,5. Les élus de Dieu sont aujourd’hui dans la même condition que la jeune fille. Jésus-Christ, leur bien-aimé, n’est pas là avec eux de manière tangible. Pour autant, il ne les a pas laissés sans possibilité de contact avec lui. Par l’Esprit, ils entendent sa voix. Elle résonne dans leurs cœurs au travers de sa Parole. Elle est chaque jour le sujet de leur méditation et la source de leur joie. A travers elle, nous le savons proche de nous. Nous ne le voyons pas encore, mais nous l’entendons. Que Dieu nous donne de ne jamais nous priver de l’écouter !

Le voici qui arrive, sautant sur les montagnes…

Emportée dans sa rêverie, la jeune fille imagine son bien-aimé accomplir les plus grands exploits pour la rejoindre. Des montagnes et des collines le séparent de l’élue de son cœur. Qu’à cela ne tienne ! L’amour lui donnera l’agilité du cerf et de la gazelle pour les franchir. Dans son esprit, aucun obstacle, aucune difficulté n’est trop grande pour lui barrer la route. Ce que la nature seule ne peut, l’amour le rend possible. Toute la joie de la jeune femme se trouve résumée dans l’expression qu’elle répète deux fois : « Le voici ! Le voici ! » Jusqu’à présent, il était loin. Une grande distance le séparait d’elle. Mais désormais ce n’est plus le cas. Le temps de l’attente et du désir est passé. Il a fait place à la félicité de la présence, réalité inégalable pour les cœurs qui s’aiment.

Il faut avoir vécu ce qu’a de cruelle la séparation pour comprendre à quel point les retrouvailles de deux cœurs qui languissent l’un de l’autre ont de bouleversant. L’épouse privée de son mari, prisonnier de guerre, sait ce que cela signifie de s’évader en esprit au jour où il reviendra. D’une certaine manière, l’Eglise se trouve dans ce même état dans l’attente de la venue de son Seigneur. Saisie par son amour, elle soupire après sa présence. Elle cherche à discerner dans les temps et les circonstances le moment où il paraîtra. Elle entend la voix du visionnaire de l’Apocalypse qui lui dit à deux reprises : « Voici ! Je viens bientôt ! : Apocalypse 22,7 ;12. » Oui ! Il vient avec les nuées, et tout œil le verra : Apocalypse 1,7. Il vient pour chercher son Epouse en vue des noces. Comment son cœur ne pourrait-il pas vibrer d’espérance dans l’attente de ce jour ?

Les exploits sportifs du bien-aimé portent en eux une autre source d’instruction dont témoigne le pasteur Richard Wurmbrand. « Quand les montagnes de notre vie terrestre obstruent notre vie, dit-il, nous ne leur donnons pas l’ordre de se déplacer. Nous suivons l’exemple du Christ ; sa fiancée lui dit : « Mon bien-aimé vient, sautant sur les montagnes, bondissant sur les collines. » Il ne faut pas essayer de déplacer des montagnes de difficultés dans nos vies. Nous devrions sauter par-dessus et accomplir notre tâche chrétienne malgré elles.[1] »


[1] Richard Wurmbrand : Plus que vainqueurs : Editions Sénevé

Le voici : il se tient derrière notre mur, observant par la fenêtre, regardant par le treillis.

Bien qu’il soit tout près de sa chérie, le bien-aimé ne force pas la porte de sa chambre. Il l’appelle, la sollicite, lui fait savoir qu’il désire la voir, mais il ne va pas plus loin. Aussi fort soit le désir de la proximité avec elle, il ne se traduira jamais par l’impatience. Le bien-aimé sait que l’amour s’exprime par des codes précis qui témoignent de l’égard que l’on porte envers les personnes. Toute violation de ces codes est une transgression aux impératifs de l’amour. Que la jeune fille éprise d’un jeune homme ne s’y trompe pas. Le charme qu’exerce son bien-aimé ne lui donne aucun droit à forcer son intimité. La preuve qu’il l’aime se montre dans le respect de sa volonté. L’amour n’oblige ni ne contraint jamais personne. Il se soumet au rythme du temps qui est celui de l’autre, non du sien.

C’est, dit Jean, parce qu’il nous a aimés le premier que nous aimons Dieu : 1 Jean 4,19. Sa sollicitude pour gagner nos cœurs a été sans égal. Alors que nous lui étions hostiles, il nous a donné la preuve de son amour en mourant pour nous : Romains 5,8. L’amour est la bannière qu’il a déployée sur nous : Cantique 2,4. Il a tissé avec nous des liens d’humanité, des cordages d’amour, dit Osée : Osée 11,4. Inlassablement, tendrement, sa voix nous a pressé : « Mon fils, donne-moi ton cœur ! » : Proverbes 23,26. Aujourd’hui encore, il se tient à la porte et frappe, désirant établir une relation d’amitié avec nous : Apocalypse 3,20. Si, ce jour, tu entends sa voix, n’endurcis pas ton cœur, dit l’Ecriture : Hébreux 3,15. Car personne ne t’aime et ne t’aimera comme lui t’a aimé.

Mon bien-aimé parle et me dit : « Lève-toi, mon amie, ma belle et viens ! » En effet, l’hiver est passé, la pluie a cessé, elle s’en est allée…

Evadée dans son monde imaginaire, la jeune fille situe la visite de son bien-aimé à une époque précise de l’année. La saison froide et grise de l’hiver est passée. Partout, la nature se réveille. Les prairies se tapissent de fleurs aux couleurs chatoyantes. Le figuier répand son parfum et le mêle aux senteurs des vignes en pleine floraison. Les tourterelles roucoulent de bonheur. L’atmosphère ambiante est à la fête et invite à la joie et au chant. Si la froidure de l’hiver pouvait être une excuse pour se blottir au chaud, elle n’est plus d’actualité avec la douce chaleur du printemps. Le bien-aimé appelle sa belle : « Lève-toi ! Quitte le confort douillet de ta couche, et viens avec moi jouir de la vie ! Marchons, courrons tous les deux dans la campagne ensoleillée !» Quelle fiancée résisterait à une telle invitation, au simple bonheur d’être avec l’élu de son cœur dans la création de Dieu ? N’y a-t-il pas là comme une évocation de la condition de l’Eden, le paradis perdu ?

Si la communion est le désir profond de Dieu pour nous, il est dans chaque vie des temps plus favorables que d’autres pour qu’elle s’établisse. Comme la terre, l’âme a aussi ses hivers et ses printemps. Prisonnier de la froideur, l’être naturel est incapable de lui-même de s’éveiller à l’amour. Il lui faut sentir le doux rayon du soleil de l’amour de Dieu pour que, du sol dur et gelé de son cœur, s’éveille la vie. L’invitation de Dieu se fait alors entendre : « Lève-toi, viens ! Mets ta main dans la mienne, et suis-moi ! Quitte ton lieu de réclusion trop étroit pour ton âme ! Sors et viens respirer l’air pur de mon royaume ! Hume ses parfums et rassasie-toi de ses couleurs et de sa beauté ! » Oui ! Mon âme, réjouis-toi ! Le temps de ton hiver se termine ! Ton printemps est arrivé ! Sors de ton sommeil et lève-toi ! Plein d’amour, ton Berger t’appelle !

Lève-toi, mon amie, ma belle, et viens ! Ma colombe, toi qui te tiens dans les fentes du rocher, qui te caches dans les parois escarpées, fais-moi voir ta figure, fais-moi entendre ta voix…

Si le cœur de la bien-aimée frémit à l’écho de la voix de son chéri, le même émoi agite le sien dans sa proximité. Malgré toute la distance parcourue, il ne suffit pas au jeune homme de savoir que l’élue de son cœur se trouve à quelques centimètres de lui. Il veut voir son visage, entendre sa voix. L’image et le souvenir qu’il a d’elle peuvent nourrir son amour dans le temps de l’absence. Mais, dans celui de la rencontre, il lui faut un vrai contact. C’est pourquoi son appel se fait si insistant. Eprise de son chéri, la bien-aimée n’est pas pour autant hardie. Comme la colombe, elle possède une nature craintive, facilement effarouchée. Cependant, elle n’a pas le choix. Il lui faut, pour jouir de la présence de son soupirant, sortir de son refuge. Sa foi est sollicitée. Les sécurités anciennes doivent être délaissées. C’est lui, désormais, qui sera la source et le garant de son bien-être. L’amour exige ce double abandon : celui des cachettes du passé et celui de la confiance sans réserve pour l’avenir en l’être aimé.

Notre relation avec Dieu est, comme celle des deux tourtereaux du cantique, à double sens. Il n’y a pas que notre âme qui soupire après lui. Lui aussi se plaît à entendre notre voix et à communier avec nous. « Tu es Simon, fils de Jonas ! : Jean 1,42. » Il nous connaît par notre nom. Chaque fois que nous nous présentons à lui, c’est la totalité de ce que nous sommes qui se trouve devant ses yeux. Si nous n’étions sûrs de son amour, une telle connaissance pourrait nous effrayer. Ne sait-il pas qui je suis ? Ne connaît-il pas toute la laideur qui m’habite ? Ce n’est pas le langage qu’il tient. Il me dit que je suis sa belle, l’élue de son cœur. Sa grâce a effacé toutes les taches qui souillaient mon être. Je n’ai rien à craindre. Il ne me rejettera pas. Je n’ai pas avoir honte de ce que je suis. Il a porté son regard sur moi et il n’y reviendra pas. Je peux quitter mon passé et ses noirs secrets. Son amour m’ouvre les portes d’un avenir ensoleillé et plein de promesses. Que nos cœurs se livrent à lui sans réserve ! Il nous aime !

Attrapez pour nous les renards, les petits renards qui dévastent les vignes, car nos vignes sont en fleur !

Le printemps est, pour tous les travailleurs de la terre, la saison de tous les espoirs. Partout la vie s’éveille. Les arbres et les prairies en fleurs annoncent la promesse de riches récoltes. Les jeunes pousses sortent de terre à la conquête de leur destin. Elles ne savent pas encore que le monde qui les entoure est plein de dangers. Les limaces s’attaquent aux salades et les renards aux vignes en fleurs. A peine nés, les jeunes plants sont l’objet de convoitise. Les prédateurs sont à l’affût pour détruire sur le champ les jeunes vies si prometteuses. Les fleurs, gages d’avenir et de récolte, parviendront-elles à donner des fruits ? Oui, si les gardiens des vignes veillent et chassent les goupils voraces. La vie n’est pas un long fleuve tranquille. C’est le fruit d’une victoire qui ne se gagne que dans un contexte de lutte. Les forces conjuguées du bien doivent s’allier pour triompher de celles du mal. Il en est ainsi également de l’amour.

Bon nombre de printemps ont vu le jour dans l’histoire. Des peuples ont secoué le joug de la tyrannie qui les asservissait. Devenus libres, ils se sont crus à l’abri de tous les périls. Mais, rapidement, de nouveaux prédateurs sont apparus. Profitant de la candeur des peuples, ils ont détourné les révolutions à leur profit. Les printemps n’ont pas été suivis d’été, mais de nouveaux hivers. Les vies nouvelles sont des cibles de choix pour les nuisibles. L’amour tout neuf qui unit deux cœurs n’y échappe pas. Si les jeunes amants n’y veillent, il y a risque de déprédation grave pour sa survie. L’ennemi n’est pas à l’extérieur, maie en nous. Il est fait des mille et un désirs mauvais qui nous habitent, petites choses qui portent la marque de l’impureté et de l’égoïsme. L’histoire de l’Eglise témoigne largement de l’existence de ce danger. A peine née, l’hypocrisie d’un Ananias et d’une Saphira, la cupidité d’un Simon le magicien cherchent à miner la belle unité. Plus tard, l’apôtre avertira ses frères de la venue de loups cruels qui n’épargneront pas le troupeau : Actes 20,29. Constamment, il nous faut veiller sur nous-mêmes et les autres. « Garde ton cœur, plus que toute autre chose, di le Sage, car de lui viennent les sources de la vie : Proverbes 4,23. »

Mon bien-aimé est à moi, et moi je suis à lui. Il conduit son troupeau parmi les lis

Rien n’apparaît plus délicat et fragile que l’amour. Il est cependant, conclura Salomon, plus fort que la mort : Cantique 8,6. La force de l’amour tient dans les liens qu’il crée dans les cœurs épris l’un de l’autre. Celui qui aime ne s’appartient plus. Il est à l’autre. Il est sa possession, son bien suprême. Les nuisibles peuvent l’endommager, les grandes eaux menacer de le submerger : l’amour sort vainqueur de toutes les épreuves. L’amour est une corde à trois fils qui résiste à toutes les pressions, toutes les tentatives de rupture : cf Ecclésiaste 4,12. L’amour est une révolution sans pareille. Alors que la tendance naturelle du cœur le porte à privilégier son intérêt particulier, l’amour pousse celui-ci à l’abandon, au partage, au don de soi. Ne plus être à soi n’est pas une frustration, mais source de joie pour ceux qui s’aiment. L’amour engendre une nouvelle fierté, celle d’être l’aimé de l’autre, de porter son nom. Il communique à l’élu(e) un sentiment inégalé de valeur. Le jeune homme devient un roi, la jeune fille une reine dans le cœur de l’autre. La façon dont le berger de son cœur traite son troupeau conforte la bien-aimée dans cette pensée. Ses brebis ne foulent pas des terres arides. Elles broutent les pâturages où croissent les lis. Rien ne nous grandit autant que le fait d’être aimé.

A peine né de l’Esprit, l’enfant de Dieu peut craindre. La joie qui se trouve dans son cœur va-t-elle durer ? L’amour qu’il ressent au fond de lui pour son Sauveur va-t-il s’étioler ? La communion qui nous unit à Dieu ne repose pas sur un sentiment. Elle est le fruit d’une alliance fondée sur un lien d’appartenance indestructible. De multiples prédateurs chercheront à endommager la qualité de notre relation avec Dieu. Des épreuves surhumaines tenteront de la détruire. Mais l’amour triomphera de tout. Nous n’aimons pas Dieu parce que notre cœur nous y dispose. Nous l’aimons parce qu’il nous a aimés le premier : 1 Jean 4,19. Alors que le péché nous avilit, son amour nous ennoblit. Il nous élève au rang d’élu du cœur de Dieu, une valeur que rien d’autre ne peut nous procurer. « Mon bien-aimé est à moi et je suis à lui ! » Tout le secret de la résistance de l’amour se trouve ici. Peu importe la liberté perdue, le rejet, les moqueries. Le bien de celui qui aime ne consiste pas en choses. Il est tout entier dans un cœur, une personne, celle de l’être aimé. Merci, ô Dieu, pour ton amour indéfectible pour moi en Jésus-Christ, ton Fils !

 Avant que la brise ne souffle et que les ombres fuient, tourne-toi ! Montre-toi pareil, mon bien-aimé à la gazelle ou au jeune cerf, sur les montagnes rocailleuses !

Allongée dans son lit, pressée par son bien-aimé de la rejoindre, la jeune fille tarde à lui répondre. Elle lui suggère de revenir le soir, au moment où, le soleil couchant, les ombres s’allongent. Peut-être a-t-elle jugé, à cause des occupations qui l’attendaient dans la journée, que l’invitation de son bien-aimé n’était pas opportune. Le soir, après les activités du jour, lui paraissait mieux convenir. Le hic de sa proposition est qu’elle n’a pas intégré l’engagement que coûtait au berger sa démarche matinale. Pour elle, il avait laissé son troupeau, parcouru des kilomètres, franchi les montagnes qui la séparaient d’elle. Un tel effort ne valait-il pas une réponse plus amène ? Ne se devait-elle pas, devant cette preuve d’amour, de l’honorer par une disponibilité immédiate ?

Comme il en est des rendez-vous amoureux spontanés, une rencontre intime sollicitée par le Seigneur ne se refuse pas. Le Seigneur connait notre emploi du temps. Il sait que, sur notre chemin, se trouvent de multiples sollicitations. Mais l’heure de Dieu ne se programme pas. Quiconque la diffère, pour des raisons mineures, risque de la laisser passer… et ne plus la retrouver. Lorsque le Seigneur appelle, aucun « d’abord » ne doit passer avant lui ; cf Luc 9,59 à 62. Toute notre vie, il nous faut nous souvenir du prix fort qu’il a payé pour nous rejoindre. Des montagnes infranchissables nous séparaient de lui. Il les a toutes enjambées pour nous trouver là où nous étions. Ne méprisons pas, par indolence, paresse ou fausse excuse le privilège de la communion qu’il nous propose. La visite du Seigneur est un cadeau d’une telle valeur que rien ne pèse face à elle. Que Dieu pardonne le peu d’empressement que met notre cœur à le désirer !

Sur mon lit, pendant les nuits, j’ai cherché celui que mon cœur aime. Je l’ai cherché, mais je ne l’ai pas trouvé

Après l’occasion manquée du matin, le soir est venu suivi de la nuit sans que la jeune fille ne reçoive la visite de son bien-aimé. Les jours ont succédé aux jours et les nuits aux nuits aggravant le tourment de celle-ci. Quand reverra-t-elle celui qu’elle aime ? Allongée sur sa couche, elle ne dort pas. Elle l’appelle de ses vœux, repasse dans son cœur les souvenirs qu’elle a de lui… Mais rien n’y fait ! Elle n’a face à elle que le vide de son absence qui lui est insupportable.

Qui d’entre nous n’a fait la même expérience que la jeune fille dans sa relation avec Dieu ? Assurés de son amour, nous nous sommes reposés sur cet acquis. Nous n’avons pas estimé à sa juste valeur le privilège qui était le nôtre. Le temps de la communion avec lui a été délaissé pour d’autres priorités. Vient alors le moment où nous soupirons après sa présence, mais Dieu n’est pas là. L’horreur du vide s’empare de nous, et nous nous écrions : Jusques à quand, Seigneur, nous cacheras-tu ta face ? : Psaume 13,2. « Je disais dans ma tranquillité, dit David : je ne serai jamais ébranlé ! Eternel, par ta grâce tu avais affermi ma montagne. Tu t’es caché, j’ai été épouvanté. Eternel, j’ai crié à toi, j’ai imploré l’Eternel : Psaume 30,7 à 9. » S’il y a des nuits d’insomnie que nous ne choisissons pas, il y en a d’autres qui, dans la vie chrétienne, sont le fait de notre négligence. Dans sa grâce, Dieu ne nous les épargne pas. Par elles, il nous conduit à juger et à peser le prix des choses. Il nous faut apprendre une fois pour toutes que le bien le plus précieux de notre âme est la communion avec lui. La douleur seule a le pouvoir de nous soigner de notre négligence à ce sujet. Béni soit Dieu pour les nuits sans sommeil ! Elles seules nous donnent d’apprécier à leur juste valeur, les bienfaits du jour et de la lumière.

Je veux me lever pour faire le tour de la ville, dans les rues et sur les places… Je veux chercher celui que mon cœur aime. Je l’ai cherché, mais je ne l’ai pas trouvé.

C’est maintenant que le bien-aimé est parti que la jeune fille trouve la volonté de se lever. Au moment où il l’a invité à le faire, elle est restée paresseusement sur sa couche. Elle l’a fait languir au mépris de l’effort et du prix que lui a coûté sa venue jusqu’à elle. Soudain, elle réalise ce qu’elle a fait. Elle comprend sa folie et saisit de quel bonheur elle s’est privée. Elle se met en route pour rattraper le temps et l’occasion perdue. Elle qui n’osait sortir de son refuge, se met à arpenter la ville en tous sens à la recherche de son bien-aimé. Ses efforts n’aboutissent pas : celui-ci reste introuvable. Ils n’ont eu pour résultat que d’amplifier son angoisse, sa frustration et son remords.  Le temps de la joie et de l’intimité était celui de la visite du bien-aimé. Pour l’avoir négligé, la jeune fille agit à contretemps, mais ses initiatives restent stériles. Elle apprend ici la nécessité d’ordonner sa vie selon les bonnes priorités. Elle ne remettra plus jamais à plus tard les affaires qui touchent à son cœur. Le proverbe populaire a bien raison : charité bien ordonnée doit commencer par soi-même.

Que d’angoisses dans nos cœurs lorsque, le Seigneur parti, nous cherchons à le retrouver ! Il était là, mais, en ce temps, nous n’avons pas jugé bon de quitter notre lit de paresse pour communier avec lui. Nous l’avons fait attendre, tel un visiteur inopportun. Soudain, nous comprenons notre méprise. Nous sommes saisis d’horreur devant notre idolâtrie. Qu’y-a-t-il de plus précieux pour notre cœur que son intimité ? Nous tentons de rattraper le coup. Nous nous activons pour le chercher dans tous les endroits possibles et imaginables. La lecture de tel livre va peut-être rétablir le contact entre nous et lui… Ou l’écoute de tel message… Nous devons rendre raison : tous nos efforts restent stériles. Notre agitation vaine ne fait qu’accroître notre mal-être. Nous pleurons parce que notre Seigneur s’est évaporé et nous ne savons où il se trouve : cf Jean 20,13. Resterons-nous à jamais dans cet état, privé de sa présence ?

 

Ce sont les gardes qui font la ronde dans la ville qui m’ont trouvée : « Avez-vous vu celui que mon cœur aime ! »

Partie à la recherche de son bien-aimé, la jeune fille, toute entière absorbée par cette pensée, s’expose à de graves dangers. Elle qui, si craintive, n’osait sortir de sa cachette, n’a plus peur de rien. Pressée de retrouver celui qu’elle aime, elle s’aventure de plus en plus loin de son domicile au risque de mauvaises rencontres. Heureusement pour elle, il existe une providence pour les âmes simples. Au lieu de voyous, elle tombe sur les gardes de la ville en train de faire leur ronde. Leur mission est de veiller à la tranquillité des habitants. Heure après heure, ils font le tour de la cité à l’affût de tout signe qui préviendrait d’un danger pour ceux qui dorment. Nous imaginons sans peine leur étonnement à la vue de la jeune fille qui croise leur chemin. Que fait-elle là à cette heure si tardive ? Ne sait-elle pas que la nuit est, pour des personnes comme elle, le moment de tous les périls ? La jeune fille justifie la raison de sa présence incongrue en cet instant : elle cherche celui que son cœur aime. Beau témoignage, certes, rendu à son bien-aimé, mais si peu réfléchi ! Nous ne savons pas comment les gardes y ont réagi. Mais nul doute qu’ils l’ont exhorté à être raisonnable et à rentrer chez elle. La nuit n’est certainement pas, lui ont-ils dit, le moment propice pour trouver quelqu’un. Que va faire la jeune fille après cette rencontre ?

Rien n’est plus en danger qu’une âme désemparée qui cherche Dieu. Dévorée par le sentiment de sa culpabilité due à sa négligence, l’âme tourmentée se lance dans des aventures inconsidérées. Elle erre et se rend partout où elle pense que son Seigneur pourrait se trouver. Jadis si paresseuse et craintive, elle se lance maintenant dans des aventures insensées. Aucun effort, aucun péril n’est trop grand pour relever le défi qu’elle s’est proposée. Si les gardes de Dieu n’y veillaient, elle deviendrait vite la proie facile des trafiquants d’âmes. Heureusement pour eux, les élus de Dieu ont des gardiens fidèles dans l’exercice de leur tâche. Ce sont, dit l’Ecriture, les anges, ces esprits au service de Dieu, envoyés pour apporter de l’aide à ceux qui vont hériter du salut : Hébreux 2,14. De combien de pièges nous ont-ils déjà sauvés, eux qui voient continuellement la face de notre Père céleste : Matthieu 18,10 ? Une attention particulière leur est demandée en vue de la protection des petits et des simples, proies faciles du prince de la nuit. Louons Dieu pour sa providence et sa protection à notre égard ! Si l’Eternel n’était pas mon secours, mon âme serait bien vite dans la demeure du silence : Psaume 94,17.

A peine les avais-je dépassés que j’ai trouvé celui que mon cœur aime.

La rencontre de la jeune fille avec les gardes ne l’a pas arrêtée dans sa course. A aucun moment, elle n’est revenue à elle pour se dire qu’elle aurait pu croiser le chemin d’autres personnes mal intentionnées. La jeune fille n’en démord pas. Elle s’en veut trop. Il lui faut absolument retrouver l’élu de son cœur. Il n’est pas possible que leur histoire s’arrête là. Elle veut lui faire savoir qu’elle regrette profondément son attitude. A peine a-t-elle repris sa course et dépassé les gardes qu’elle tombe sur son chéri. Que fait-il là ? Manifestement, il n’est pas reparti dans ses montagnes. Il a pris acte de la tiédeur de sa bien-aimée, mais ne s’est pas résolu à ce que cet état perdure. Le bien-aimé a misé sur la puissance de l’amour. Il s’est retiré volontairement de la proximité de l’élue de son cœur pour générer en elle une angoisse salvatrice. Il a provoqué son désarroi tout en se tenant prêt à la consoler au moment venu. Quelle joie, quel soulagement furent les siens au moment où, dans la pénombre, le visage du bien-aimé lui est apparu ! Non ! Il n’est pas parti. Il n’était pas loin. J’ai appris la leçon. Rien ne vaut sa présence. C’est un crime véritable de ne pas l’apprécier à sa juste valeur.

Les abandons du Seigneur ne durent pas. Ils nous sont nécessaires pour que nous apprenions à quel point sa communion nous est vitale. « Pendant un court moment je t’avais abandonnée, mais avec une grande compassion, je t’accueillerai. Dans un débordement de colère, je m’étais un instant caché à toi, mais avec un amour éternel j’aurai compassion de toi, dit l’Eternel, celui qui te rachète : Esaïe 54,7-8. » « L’abandon, dit Thomas Watson, est très triste, car si l’obscurité résulte du retrait de la lumière, de même l’obscurité et le chagrin de l’âme résultent du retrait de Dieu. Être abandonné, c’est être dans l’agonie de conscience.[1] » La désertion de l’âme par Dieu la guérit de plusieurs maux : son indolence, sa paresse, sa négligence… Elle lui fait prendre conscience de ce qui est vitale pour elle et l’aide à ordonner pour l’avenir ses priorités. La grâce de Dieu a le pouvoir de changer pour nous tout mal en bien. Que Dieu nous garde seulement d’en abuser pour notre malheur !

Je l’ai attrapé et je ne l’ai pas lâché jusqu’à ce que je l’aie amené dans la maison de ma mère, dans la chambre de celle qui m’a donné naissance.

Enfin ! Le bien-aimé est là ! Mais il ne faut pas qu’elle s’y trompe. Ce ne sont pas ses efforts désespérés qui ont permis à la jeune fille de le retrouver. C’est plutôt la mansuétude de son chéri, l’attendant dans la nuit, qui fit qu’elle le trouve. Maintenant qu’il est à portée de main, plus question de le laisser filer. La bien-aimée l’agrippe, le tient fermement et l’entraîne jusqu’à la maison familiale, dans la chambre même où elle a été conçue. Le procédé est quelque peu singulier. Dans la tradition hébraïque, ce n’est pas à la fiancée de conduire son futur époux dans la chambre de ses parents, mais l’inverse. « Isaac, dit l’Ecriture, conduisit Rébecca dans la tente de Sara, sa mère. Il épousa Rébecca : Genèse 24,66. » Toute à la joie qui est la sienne, la bien-aimée en oublie dans son rêve les codes culturels de la société qui est la sienne. Peu importe ! Ce qui compte ici est la signification du geste. La bien-aimée s’approprie l’élu de son cœur. Elle lui notifie qu’elle n’aspire désormais qu’à une seule chose : s’unir à lui. Nul doute que, pour lui, le message fut sans ambiguïté.

Quel qu’effort que nous fassions pour chercher notre Seigneur, nous ne le trouverons que s’il se révèle à nous. Nous pouvons désirer la communion avec lui, mais non la produire. Elle est le fruit unique de sa révélation. Saisi par Christ, l’apôtre Paul n’avait qu’un désir : le saisir à son tour : cf Philippiens 3,12. La peur secrète de tout vrai croyant est la même. Elle est l’angoisse de perdre la douce relation qu’il entretient avec son Sauveur, l’Epoux de son âme. Le désarroi de Marie de Magdala, constatant le tombeau vide, en témoigne : « Ils ont enlevé mon Seigneur et je ne sais pas où ils l’ont mis : Jean 20,13. » L’expression de la joie de la communion retrouvée a l’altitude de la détresse issue de sa perte. Elle peut chagriner les esprits conformistes par son exagération. Mais elle est à la hauteur de l’évènement. Le boiteux de la Belle Porte n’entra pas dans le temple comme les autres. Il marchait, sautait et louait Dieu : cf Actes 3,6. Qui se serait permis de le rabrouer, lui qui, jusque-là, gisait à terre sans pouvoir se lever ? Ne reprenons pas durement ceux que la grâce vient de toucher si leur joie les pousse à des comportements peu conventionnels. Ils s’assagiront avec le temps. Réjouissons-nous plutôt avec eux. « Car le frère que voici était mort et il est revenu à la vie, il était perdu et il est retrouvé : Luc 15,32. »

Je vous en supplie, filles de Jérusalem, par les gazelles et les biches des champs, ne réveillez pas l’amour avant qu’elle le veuille.

Témoin du rêve de la jeune fille et de son amour ardent pour l’élu de son cœur, son soupirant éconduit exprime aux filles de Jérusalem la même demande que celle qu’il formule à la fin de la première rencontre. Il est toujours possible de séduire une jeune fille dont le cœur est libre. Mais quand celui-ci est déjà conquis, toute tentative de le détourner de l’objet de son amour ne peut que se traduire par le rejet. Il n’y a qu’une puissance qui, dans le monde, ait le pouvoir de changer du tout au tout la disposition d’un cœur. C’est l’Esprit de Dieu. Alors que Saul de Tarse était réfractaire au nom de Jésus-Christ, la grâce de Dieu a agi avec une telle puissance que, de persécuteur de l’Eglise, il en est devenu le plus fervent promoteur. Dieu, dit-il, l’a choisi dès le commencement pour monter en lui le premier toute sa patience afin qu’il serve d’exemple à ceux qui croiraient en lui pour la vie éternelle : 1 Timothée 1,16. Le rêve de la jeune fille ne laisse ici planer aucun doute. Son cœur est une forteresse dans laquelle son bien-aimé est jalousement gardé. Il n’y aucun interstice, aucune ouverture par lesquels quelqu’un d’autre pourrait s’introduire. Que notre être soit lui aussi, ô Dieu, tout entier pour toi !



[1] Thomas Watson : Consolations divines : Edition Grâce et vérité

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

EPILOGUE

  8,8 et 9  : les frères de la jeune femme   Nous avons une petite sœur qui n’a pas encore de poitrine. Que ferons-nous de notre sœur, le ...