2ème
RENCONTRE : 2,8 à 3,5
C’est la voix
de mon bien-aimé !
Alors que la 1ère
rencontre s’est faite de visu, c’est en rêve que se produit la seconde.
Allongée sur son lit, la jeune fille imagine son bien-aimé quitter les pâturages
où il se trouve avec son troupeau pour venir la visiter. Elle ne le voit pas
encore, mais déjà elle entend sa voix qui l’appelle. Pour toute jeune fille
amoureuse, le timbre de la voix du bien-aimé est unique. Même si celui-ci n’est
pas là, le seul fait de l’entendre comble l’absence. La jeune fille du cantique
n’avait pas à sa disposition les moyens que nous avons aujourd’hui. Elle ne
pouvait, par un simple appel téléphonique, combler la distance qui la séparait
de l’élu de son cœur. Aussi comprend-t-on bien les émotions que l’écho de la
voix du bien-aimé suscite en elle. C’est tout son être qui est soulevé, remué à
l’écoute de son appel. Sa voix lui dit qu’il est proche d’elle, qu’il se tient
là tout près. Bientôt, c’est lui-même qu’elle va voir.
Comme la
bien-aimée, l’âme des élus de Dieu est éprise d’un berger. Ce berger connait
chacune de ses brebis. Il les appelle par son nom. De leur côté, celles-ci le
reconnaissent par sa voix. Elles distinguent, parmi toutes celles qui sont à leur
portée, son timbre de celui des étrangers. Même si ceux-ci les appellent par
leur nom, elles ne bougeront pas. Il y a dans la voix du bon berger quelque
chose d’unique, d’indéfinissable qui fait que, lorsqu’il parle, les brebis
savent immédiatement que c’est leur pasteur qui s’adresse à elles : cf Jean 10,5. Les élus de Dieu sont aujourd’hui dans la
même condition que la jeune fille. Jésus-Christ, leur bien-aimé, n’est pas là
avec eux de manière tangible. Pour autant, il ne les a pas laissés sans
possibilité de contact avec lui. Par l’Esprit, ils entendent sa voix. Elle
résonne dans leurs cœurs au travers de sa Parole. Elle est chaque jour le sujet
de leur méditation et la source de leur joie. A travers elle, nous le savons
proche de nous. Nous ne le voyons pas encore, mais nous l’entendons. Que Dieu
nous donne de ne jamais nous priver de l’écouter !
Le
voici qui arrive, sautant sur les montagnes…
Emportée
dans sa rêverie, la jeune fille imagine son bien-aimé accomplir les plus grands
exploits pour la rejoindre. Des montagnes et des collines le séparent de l’élue
de son cœur. Qu’à cela ne tienne ! L’amour lui donnera l’agilité du cerf
et de la gazelle pour les franchir. Dans son esprit, aucun obstacle, aucune
difficulté n’est trop grande pour lui barrer la route. Ce que la nature seule
ne peut, l’amour le rend possible. Toute la joie de la jeune femme se trouve
résumée dans l’expression qu’elle répète deux fois : « Le
voici ! Le voici ! » Jusqu’à présent, il était loin. Une grande
distance le séparait d’elle. Mais désormais ce n’est plus le cas. Le temps de
l’attente et du désir est passé. Il a fait place à la félicité de la présence,
réalité inégalable pour les cœurs qui s’aiment.
Il
faut avoir vécu ce qu’a de cruelle la séparation pour comprendre à quel point
les retrouvailles de deux cœurs qui languissent l’un de l’autre ont de
bouleversant. L’épouse privée de son mari, prisonnier de guerre, sait ce que
cela signifie de s’évader en esprit au jour où il reviendra. D’une certaine
manière, l’Eglise se trouve dans ce même état dans l’attente de la venue de son
Seigneur. Saisie par son amour, elle soupire après sa présence. Elle cherche à
discerner dans les temps et les circonstances le moment où il paraîtra. Elle
entend la voix du visionnaire de l’Apocalypse qui lui dit à deux reprises :
« Voici ! Je viens bientôt ! : Apocalypse 22,7 ;12. » Oui ! Il vient avec
les nuées, et tout œil le verra : Apocalypse 1,7.
Il vient pour chercher son Epouse en vue des noces. Comment son cœur ne
pourrait-il pas vibrer d’espérance dans l’attente de ce jour ?
Les exploits sportifs du bien-aimé portent en eux une autre source d’instruction dont témoigne le pasteur Richard Wurmbrand. « Quand les montagnes de notre vie terrestre obstruent notre vie, dit-il, nous ne leur donnons pas l’ordre de se déplacer. Nous suivons l’exemple du Christ ; sa fiancée lui dit : « Mon bien-aimé vient, sautant sur les montagnes, bondissant sur les collines. » Il ne faut pas essayer de déplacer des montagnes de difficultés dans nos vies. Nous devrions sauter par-dessus et accomplir notre tâche chrétienne malgré elles.[1] »
[1] Richard
Wurmbrand : Plus que vainqueurs : Editions Sénevé
Le voici :
il se tient derrière notre mur, observant par la fenêtre, regardant par le
treillis.
Bien qu’il soit tout près de sa
chérie, le bien-aimé ne force pas la porte de sa chambre. Il l’appelle, la
sollicite, lui fait savoir qu’il désire la voir, mais il ne va pas plus loin.
Aussi fort soit le désir de la proximité avec elle, il ne se traduira jamais
par l’impatience. Le bien-aimé sait que l’amour s’exprime par des codes précis
qui témoignent de l’égard que l’on porte envers les personnes. Toute violation
de ces codes est une transgression aux impératifs de l’amour. Que la jeune
fille éprise d’un jeune homme ne s’y trompe pas. Le charme qu’exerce son
bien-aimé ne lui donne aucun droit à forcer son intimité. La preuve qu’il
l’aime se montre dans le respect de sa volonté. L’amour n’oblige ni ne
contraint jamais personne. Il se soumet au rythme du temps qui est celui de
l’autre, non du sien.
C’est, dit Jean, parce qu’il nous
a aimés le premier que nous aimons Dieu : 1 Jean
4,19. Sa sollicitude pour gagner nos cœurs a été sans égal. Alors que
nous lui étions hostiles, il nous a donné la preuve de son amour en mourant
pour nous : Romains 5,8. L’amour est la
bannière qu’il a déployée sur nous : Cantique 2,4.
Il a tissé avec nous des liens d’humanité, des cordages d’amour, dit
Osée : Osée 11,4. Inlassablement,
tendrement, sa voix nous a pressé : « Mon fils, donne-moi ton
cœur ! » : Proverbes 23,26.
Aujourd’hui encore, il se tient à la porte et frappe, désirant établir une
relation d’amitié avec nous : Apocalypse 3,20.
Si, ce jour, tu entends sa voix, n’endurcis pas ton cœur, dit l’Ecriture :
Hébreux 3,15. Car personne ne t’aime et ne
t’aimera comme lui t’a aimé.
Mon bien-aimé parle et me
dit : « Lève-toi, mon amie, ma belle et viens ! » En effet,
l’hiver est passé, la pluie a cessé, elle s’en est allée…
Evadée dans son monde imaginaire,
la jeune fille situe la visite de son bien-aimé à une époque précise de
l’année. La saison froide et grise de l’hiver est passée. Partout, la nature se
réveille. Les prairies se tapissent de fleurs aux couleurs chatoyantes. Le
figuier répand son parfum et le mêle aux senteurs des vignes en pleine
floraison. Les tourterelles roucoulent de bonheur. L’atmosphère ambiante est à
la fête et invite à la joie et au chant. Si la froidure de l’hiver pouvait être
une excuse pour se blottir au chaud, elle n’est plus d’actualité avec la douce
chaleur du printemps. Le bien-aimé appelle sa belle : « Lève-toi !
Quitte le confort douillet de ta couche, et viens avec moi jouir de la
vie ! Marchons, courrons tous les deux dans la campagne ensoleillée !»
Quelle fiancée résisterait à une telle invitation, au simple bonheur d’être
avec l’élu de son cœur dans la création de Dieu ? N’y a-t-il pas là comme
une évocation de la condition de l’Eden, le paradis perdu ?
Si la communion est le désir
profond de Dieu pour nous, il est dans chaque vie des temps plus favorables que
d’autres pour qu’elle s’établisse. Comme la terre, l’âme a aussi ses hivers et
ses printemps. Prisonnier de la froideur, l’être naturel est incapable de
lui-même de s’éveiller à l’amour. Il lui faut sentir le doux rayon du soleil de
l’amour de Dieu pour que, du sol dur et gelé de son cœur, s’éveille la vie. L’invitation
de Dieu se fait alors entendre : « Lève-toi, viens ! Mets ta
main dans la mienne, et suis-moi ! Quitte ton lieu de réclusion trop
étroit pour ton âme ! Sors et viens respirer l’air pur de mon royaume !
Hume ses parfums et rassasie-toi de ses couleurs et de sa beauté ! »
Oui ! Mon âme, réjouis-toi ! Le temps de ton hiver se termine ! Ton
printemps est arrivé ! Sors de ton sommeil et lève-toi ! Plein
d’amour, ton Berger t’appelle !
Lève-toi, mon amie, ma belle, et
viens ! Ma colombe, toi qui te tiens dans les fentes du rocher, qui te
caches dans les parois escarpées, fais-moi voir ta figure, fais-moi entendre ta
voix…
Si le cœur de la bien-aimée
frémit à l’écho de la voix de son chéri, le même émoi agite le sien dans sa
proximité. Malgré toute la distance parcourue, il ne suffit pas au jeune homme
de savoir que l’élue de son cœur se trouve à quelques centimètres de lui. Il
veut voir son visage, entendre sa voix. L’image et le souvenir qu’il a d’elle
peuvent nourrir son amour dans le temps de l’absence. Mais, dans celui de la
rencontre, il lui faut un vrai contact. C’est pourquoi son appel se fait si
insistant. Eprise de son chéri, la bien-aimée n’est pas pour autant hardie.
Comme la colombe, elle possède une nature craintive, facilement effarouchée.
Cependant, elle n’a pas le choix. Il lui faut, pour jouir de la présence de son
soupirant, sortir de son refuge. Sa foi est sollicitée. Les sécurités anciennes
doivent être délaissées. C’est lui, désormais, qui sera la source et le garant
de son bien-être. L’amour exige ce double abandon : celui des cachettes du
passé et celui de la confiance sans réserve pour l’avenir en l’être aimé.
Notre relation avec Dieu est,
comme celle des deux tourtereaux du cantique, à double sens. Il n’y a pas que
notre âme qui soupire après lui. Lui aussi se plaît à entendre notre voix et à
communier avec nous. « Tu es Simon, fils de Jonas ! : Jean 1,42. » Il nous connaît par notre nom. Chaque
fois que nous nous présentons à lui, c’est la totalité de ce que nous sommes qui
se trouve devant ses yeux. Si nous n’étions sûrs de son amour, une telle
connaissance pourrait nous effrayer. Ne sait-il pas qui je suis ? Ne
connaît-il pas toute la laideur qui m’habite ? Ce n’est pas le langage
qu’il tient. Il me dit que je suis sa belle, l’élue de son cœur. Sa grâce a
effacé toutes les taches qui souillaient mon être. Je n’ai rien à craindre. Il
ne me rejettera pas. Je n’ai pas avoir honte de ce que je suis. Il a porté son
regard sur moi et il n’y reviendra pas. Je peux quitter mon passé et ses noirs
secrets. Son amour m’ouvre les portes d’un avenir ensoleillé et plein de
promesses. Que nos cœurs se livrent à lui sans réserve ! Il nous
aime !
Attrapez pour nous les renards,
les petits renards qui dévastent les vignes, car nos vignes sont en fleur !
Le printemps est, pour tous les
travailleurs de la terre, la saison de tous les espoirs. Partout la vie
s’éveille. Les arbres et les prairies en fleurs annoncent la promesse de riches
récoltes. Les jeunes pousses sortent de terre à la conquête de leur destin.
Elles ne savent pas encore que le monde qui les entoure est plein de dangers.
Les limaces s’attaquent aux salades et les renards aux vignes en fleurs. A
peine nés, les jeunes plants sont l’objet de convoitise. Les prédateurs sont à
l’affût pour détruire sur le champ les jeunes vies si prometteuses. Les fleurs,
gages d’avenir et de récolte, parviendront-elles à donner des fruits ?
Oui, si les gardiens des vignes veillent et chassent les goupils voraces. La
vie n’est pas un long fleuve tranquille. C’est le fruit d’une victoire qui ne
se gagne que dans un contexte de lutte. Les forces conjuguées du bien doivent
s’allier pour triompher de celles du mal. Il en est ainsi également de l’amour.
Bon nombre de printemps ont vu le
jour dans l’histoire. Des peuples ont secoué le joug de la tyrannie qui les
asservissait. Devenus libres, ils se sont crus à l’abri de tous les périls.
Mais, rapidement, de nouveaux prédateurs sont apparus. Profitant de la candeur
des peuples, ils ont détourné les révolutions à leur profit. Les printemps
n’ont pas été suivis d’été, mais de nouveaux hivers. Les vies nouvelles sont
des cibles de choix pour les nuisibles. L’amour tout neuf qui unit deux cœurs
n’y échappe pas. Si les jeunes amants n’y veillent, il y a risque de déprédation
grave pour sa survie. L’ennemi n’est pas à l’extérieur, maie en nous. Il est
fait des mille et un désirs mauvais qui nous habitent, petites choses qui
portent la marque de l’impureté et de l’égoïsme. L’histoire de l’Eglise
témoigne largement de l’existence de ce danger. A peine née, l’hypocrisie d’un
Ananias et d’une Saphira, la cupidité d’un Simon le magicien cherchent à miner
la belle unité. Plus tard, l’apôtre avertira ses frères de la venue de loups
cruels qui n’épargneront pas le troupeau : Actes
20,29. Constamment, il nous faut veiller sur nous-mêmes et les autres. « Garde
ton cœur, plus que toute autre chose, di le Sage, car de lui viennent les
sources de la vie : Proverbes 4,23. »
Mon bien-aimé est à moi, et moi
je suis à lui. Il conduit son troupeau parmi les lis
Rien n’apparaît plus délicat et
fragile que l’amour. Il est cependant, conclura Salomon, plus fort que la mort :
Cantique 8,6. La force de l’amour tient dans les
liens qu’il crée dans les cœurs épris l’un de l’autre. Celui qui aime ne
s’appartient plus. Il est à l’autre. Il est sa possession, son bien suprême.
Les nuisibles peuvent l’endommager, les grandes eaux menacer de le submerger :
l’amour sort vainqueur de toutes les épreuves. L’amour est une corde à trois
fils qui résiste à toutes les pressions, toutes les tentatives de
rupture : cf Ecclésiaste 4,12. L’amour est
une révolution sans pareille. Alors que la tendance naturelle du cœur le porte
à privilégier son intérêt particulier, l’amour pousse celui-ci à l’abandon, au
partage, au don de soi. Ne plus être à soi n’est pas une frustration, mais
source de joie pour ceux qui s’aiment. L’amour engendre une nouvelle fierté,
celle d’être l’aimé de l’autre, de porter son nom. Il communique à l’élu(e) un
sentiment inégalé de valeur. Le jeune homme devient un roi, la jeune fille une
reine dans le cœur de l’autre. La façon dont le berger de son cœur traite son
troupeau conforte la bien-aimée dans cette pensée. Ses brebis ne foulent pas
des terres arides. Elles broutent les pâturages où croissent les lis. Rien ne nous
grandit autant que le fait d’être aimé.
A peine né de l’Esprit, l’enfant
de Dieu peut craindre. La joie qui se trouve dans son cœur va-t-elle
durer ? L’amour qu’il ressent au fond de lui pour son Sauveur va-t-il
s’étioler ? La communion qui nous unit à Dieu ne repose pas sur un
sentiment. Elle est le fruit d’une alliance fondée sur un lien d’appartenance
indestructible. De multiples prédateurs chercheront à endommager la qualité de
notre relation avec Dieu. Des épreuves surhumaines tenteront de la détruire.
Mais l’amour triomphera de tout. Nous n’aimons pas Dieu parce que notre cœur
nous y dispose. Nous l’aimons parce qu’il nous a aimés le premier : 1 Jean 4,19. Alors que le péché nous avilit, son amour
nous ennoblit. Il nous élève au rang d’élu du cœur de Dieu, une valeur que rien
d’autre ne peut nous procurer. « Mon bien-aimé est à moi et je suis à
lui ! » Tout le secret de la résistance de l’amour se trouve ici.
Peu importe la liberté perdue, le rejet, les moqueries. Le bien de celui qui
aime ne consiste pas en choses. Il est tout entier dans un cœur, une personne,
celle de l’être aimé. Merci, ô Dieu, pour ton amour indéfectible pour moi en Jésus-Christ,
ton Fils !
Avant
que la brise ne souffle et que les ombres fuient, tourne-toi ! Montre-toi
pareil, mon bien-aimé à la gazelle ou au jeune cerf, sur les montagnes
rocailleuses !
Allongée dans son lit, pressée
par son bien-aimé de la rejoindre, la jeune fille tarde à lui répondre. Elle
lui suggère de revenir le soir, au moment où, le soleil couchant, les ombres
s’allongent. Peut-être a-t-elle jugé, à cause des occupations qui l’attendaient
dans la journée, que l’invitation de son bien-aimé n’était pas opportune. Le
soir, après les activités du jour, lui paraissait mieux convenir. Le hic de sa
proposition est qu’elle n’a pas intégré l’engagement que coûtait au berger sa
démarche matinale. Pour elle, il avait laissé son troupeau, parcouru des kilomètres,
franchi les montagnes qui la séparaient d’elle. Un tel effort ne valait-il pas
une réponse plus amène ? Ne se devait-elle pas, devant cette preuve
d’amour, de l’honorer par une disponibilité immédiate ?
Comme il en est des rendez-vous
amoureux spontanés, une rencontre intime sollicitée par le Seigneur ne se
refuse pas. Le Seigneur connait notre emploi du temps. Il sait que, sur notre
chemin, se trouvent de multiples sollicitations. Mais l’heure de Dieu ne se
programme pas. Quiconque la diffère, pour des raisons mineures, risque de la
laisser passer… et ne plus la retrouver. Lorsque le Seigneur appelle, aucun
« d’abord » ne doit passer avant lui ; cf Luc 9,59 à 62. Toute notre vie, il nous faut nous
souvenir du prix fort qu’il a payé pour nous rejoindre. Des montagnes
infranchissables nous séparaient de lui. Il les a toutes enjambées pour nous
trouver là où nous étions. Ne méprisons pas, par indolence, paresse ou fausse
excuse le privilège de la communion qu’il nous propose. La visite du Seigneur
est un cadeau d’une telle valeur que rien ne pèse face à elle. Que Dieu
pardonne le peu d’empressement que met notre cœur à le désirer !
Sur
mon lit, pendant les nuits, j’ai cherché celui que mon cœur aime. Je l’ai
cherché, mais je ne l’ai pas trouvé
Après l’occasion manquée du
matin, le soir est venu suivi de la nuit sans que la jeune fille ne reçoive la
visite de son bien-aimé. Les jours ont succédé aux jours et les nuits aux nuits
aggravant le tourment de celle-ci. Quand reverra-t-elle celui qu’elle aime ?
Allongée sur sa couche, elle ne dort pas. Elle l’appelle de ses vœux, repasse
dans son cœur les souvenirs qu’elle a de lui… Mais rien n’y fait ! Elle
n’a face à elle que le vide de son absence qui lui est insupportable.
Qui d’entre nous n’a fait la même
expérience que la jeune fille dans sa relation avec Dieu ? Assurés de son
amour, nous nous sommes reposés sur cet acquis. Nous n’avons pas estimé à sa
juste valeur le privilège qui était le nôtre. Le temps de la communion avec lui
a été délaissé pour d’autres priorités. Vient alors le moment où nous soupirons
après sa présence, mais Dieu n’est pas là. L’horreur du vide s’empare de nous,
et nous nous écrions : Jusques à quand, Seigneur, nous cacheras-tu ta
face ? : Psaume 13,2. « Je disais dans ma tranquillité, dit
David : je ne serai jamais ébranlé ! Eternel, par ta grâce tu avais
affermi ma montagne. Tu t’es caché, j’ai été épouvanté. Eternel, j’ai crié à
toi, j’ai imploré l’Eternel : Psaume 30,7 à 9. »
S’il y a des nuits d’insomnie que nous ne choisissons pas, il y en a d’autres
qui, dans la vie chrétienne, sont le fait de notre négligence. Dans sa grâce,
Dieu ne nous les épargne pas. Par elles, il nous conduit à juger et à peser le
prix des choses. Il nous faut apprendre une fois pour toutes que le bien le plus
précieux de notre âme est la communion avec lui. La douleur seule a le pouvoir
de nous soigner de notre négligence à ce sujet. Béni soit Dieu pour les nuits
sans sommeil ! Elles seules nous donnent d’apprécier à leur juste valeur,
les bienfaits du jour et de la lumière.
Je
veux me lever pour faire le tour de la ville, dans les rues et sur les places… Je
veux chercher celui que mon cœur aime. Je l’ai cherché, mais je ne l’ai pas
trouvé.
C’est maintenant que le bien-aimé
est parti que la jeune fille trouve la volonté de se lever. Au moment où il l’a
invité à le faire, elle est restée paresseusement sur sa couche. Elle l’a fait
languir au mépris de l’effort et du prix que lui a coûté sa venue jusqu’à elle.
Soudain, elle réalise ce qu’elle a fait. Elle comprend sa folie et saisit de quel
bonheur elle s’est privée. Elle se met en route pour rattraper le temps et
l’occasion perdue. Elle qui n’osait sortir de son refuge, se met à arpenter la
ville en tous sens à la recherche de son bien-aimé. Ses efforts n’aboutissent
pas : celui-ci reste introuvable. Ils n’ont eu pour résultat que d’amplifier
son angoisse, sa frustration et son remords. Le temps de la joie et de l’intimité était
celui de la visite du bien-aimé. Pour l’avoir négligé, la jeune fille agit à
contretemps, mais ses initiatives restent stériles. Elle apprend ici la
nécessité d’ordonner sa vie selon les bonnes priorités. Elle ne remettra plus
jamais à plus tard les affaires qui touchent à son cœur. Le proverbe populaire
a bien raison : charité bien ordonnée doit commencer par soi-même.
Que d’angoisses dans nos cœurs
lorsque, le Seigneur parti, nous cherchons à le retrouver ! Il était là,
mais, en ce temps, nous n’avons pas jugé bon de quitter notre lit de paresse
pour communier avec lui. Nous l’avons fait attendre, tel un visiteur
inopportun. Soudain, nous comprenons notre méprise. Nous sommes saisis
d’horreur devant notre idolâtrie. Qu’y-a-t-il de plus précieux pour notre cœur
que son intimité ? Nous tentons de rattraper le coup. Nous nous activons
pour le chercher dans tous les endroits possibles et imaginables. La lecture de
tel livre va peut-être rétablir le contact entre nous et lui… Ou l’écoute de
tel message… Nous devons rendre raison : tous nos efforts restent stériles.
Notre agitation vaine ne fait qu’accroître notre mal-être. Nous pleurons parce
que notre Seigneur s’est évaporé et nous ne savons où il se trouve : cf Jean 20,13. Resterons-nous à jamais dans cet état,
privé de sa présence ?
Ce sont les gardes qui font la
ronde dans la ville qui m’ont trouvée : « Avez-vous vu celui que mon
cœur aime ! »
Partie à la recherche de son
bien-aimé, la jeune fille, toute entière absorbée par cette pensée, s’expose à
de graves dangers. Elle qui, si craintive, n’osait sortir de sa cachette, n’a
plus peur de rien. Pressée de retrouver celui qu’elle aime, elle s’aventure de
plus en plus loin de son domicile au risque de mauvaises rencontres.
Heureusement pour elle, il existe une providence pour les âmes simples. Au lieu
de voyous, elle tombe sur les gardes de la ville en train de faire leur ronde.
Leur mission est de veiller à la tranquillité des habitants. Heure après heure,
ils font le tour de la cité à l’affût de tout signe qui préviendrait d’un
danger pour ceux qui dorment. Nous imaginons sans peine leur étonnement à la
vue de la jeune fille qui croise leur chemin. Que fait-elle là à cette heure si
tardive ? Ne sait-elle pas que la nuit est, pour des personnes comme elle,
le moment de tous les périls ? La jeune fille justifie la raison de sa
présence incongrue en cet instant : elle cherche celui que son cœur aime. Beau
témoignage, certes, rendu à son bien-aimé, mais si peu réfléchi ! Nous ne
savons pas comment les gardes y ont réagi. Mais nul doute qu’ils l’ont exhorté
à être raisonnable et à rentrer chez elle. La nuit n’est certainement pas, lui
ont-ils dit, le moment propice pour trouver quelqu’un. Que va faire la jeune
fille après cette rencontre ?
Rien n’est plus en danger qu’une
âme désemparée qui cherche Dieu. Dévorée par le sentiment de sa culpabilité due
à sa négligence, l’âme tourmentée se lance dans des aventures inconsidérées. Elle
erre et se rend partout où elle pense que son Seigneur pourrait se trouver. Jadis
si paresseuse et craintive, elle se lance maintenant dans des aventures insensées.
Aucun effort, aucun péril n’est trop grand pour relever le défi qu’elle s’est proposée.
Si les gardes de Dieu n’y veillaient, elle deviendrait vite la proie facile des
trafiquants d’âmes. Heureusement pour eux, les élus de Dieu ont des gardiens
fidèles dans l’exercice de leur tâche. Ce sont, dit l’Ecriture, les anges, ces
esprits au service de Dieu, envoyés pour apporter de l’aide à ceux qui vont
hériter du salut : Hébreux 2,14. De combien
de pièges nous ont-ils déjà sauvés, eux qui voient continuellement la face de
notre Père céleste : Matthieu 18,10 ?
Une attention particulière leur est demandée en vue de la protection des petits
et des simples, proies faciles du prince de la nuit. Louons Dieu pour sa
providence et sa protection à notre égard ! Si l’Eternel n’était pas mon
secours, mon âme serait bien vite dans la demeure du silence : Psaume 94,17.
A peine les avais-je dépassés que
j’ai trouvé celui que mon cœur aime.
La rencontre de la jeune fille
avec les gardes ne l’a pas arrêtée dans sa course. A aucun moment, elle n’est
revenue à elle pour se dire qu’elle aurait pu croiser le chemin d’autres
personnes mal intentionnées. La jeune fille n’en démord pas. Elle s’en veut
trop. Il lui faut absolument retrouver l’élu de son cœur. Il n’est pas possible
que leur histoire s’arrête là. Elle veut lui faire savoir qu’elle regrette
profondément son attitude. A peine a-t-elle repris sa course et dépassé les
gardes qu’elle tombe sur son chéri. Que fait-il là ? Manifestement, il
n’est pas reparti dans ses montagnes. Il a pris acte de la tiédeur de sa
bien-aimée, mais ne s’est pas résolu à ce que cet état perdure. Le bien-aimé a
misé sur la puissance de l’amour. Il s’est retiré volontairement de la proximité
de l’élue de son cœur pour générer en elle une angoisse salvatrice. Il a provoqué
son désarroi tout en se tenant prêt à la consoler au moment venu. Quelle joie,
quel soulagement furent les siens au moment où, dans la pénombre, le visage du
bien-aimé lui est apparu ! Non ! Il n’est pas parti. Il n’était pas
loin. J’ai appris la leçon. Rien ne vaut sa présence. C’est un crime véritable
de ne pas l’apprécier à sa juste valeur.
Les abandons du Seigneur ne
durent pas. Ils nous sont nécessaires pour que nous apprenions à quel point sa
communion nous est vitale. « Pendant un court moment je t’avais
abandonnée, mais avec une grande compassion, je t’accueillerai. Dans un
débordement de colère, je m’étais un instant caché à toi, mais avec un amour
éternel j’aurai compassion de toi, dit l’Eternel, celui qui te rachète : Esaïe 54,7-8. » « L’abandon, dit Thomas
Watson, est très triste, car si l’obscurité résulte du retrait de la lumière,
de même l’obscurité et le chagrin de l’âme résultent du retrait de Dieu. Être
abandonné, c’est être dans l’agonie de conscience.[1] »
La désertion de l’âme par Dieu la guérit de plusieurs maux : son
indolence, sa paresse, sa négligence… Elle lui fait prendre conscience de ce
qui est vitale pour elle et l’aide à ordonner pour l’avenir ses priorités. La
grâce de Dieu a le pouvoir de changer pour nous tout mal en bien. Que Dieu nous
garde seulement d’en abuser pour notre malheur !
Je l’ai attrapé et je ne l’ai pas
lâché jusqu’à ce que je l’aie amené dans la maison de ma mère, dans la chambre
de celle qui m’a donné naissance.
Enfin ! Le bien-aimé est là !
Mais il ne faut pas qu’elle s’y trompe. Ce ne sont pas ses efforts désespérés
qui ont permis à la jeune fille de le retrouver. C’est plutôt la mansuétude de
son chéri, l’attendant dans la nuit, qui fit qu’elle le trouve. Maintenant qu’il
est à portée de main, plus question de le laisser filer. La bien-aimée l’agrippe,
le tient fermement et l’entraîne jusqu’à la maison familiale, dans la chambre
même où elle a été conçue. Le procédé est quelque peu singulier. Dans la
tradition hébraïque, ce n’est pas à la fiancée de conduire son futur époux dans
la chambre de ses parents, mais l’inverse. « Isaac, dit l’Ecriture,
conduisit Rébecca dans la tente de Sara, sa mère. Il épousa Rébecca : Genèse 24,66. » Toute à la joie qui est la
sienne, la bien-aimée en oublie dans son rêve les codes culturels de la société
qui est la sienne. Peu importe ! Ce qui compte ici est la signification du
geste. La bien-aimée s’approprie l’élu de son cœur. Elle lui notifie qu’elle n’aspire
désormais qu’à une seule chose : s’unir à lui. Nul doute que, pour lui, le
message fut sans ambiguïté.
Quel qu’effort que nous fassions
pour chercher notre Seigneur, nous ne le trouverons que s’il se révèle à nous.
Nous pouvons désirer la communion avec lui, mais non la produire. Elle est le fruit
unique de sa révélation. Saisi par Christ, l’apôtre Paul n’avait qu’un désir :
le saisir à son tour : cf Philippiens 3,12.
La peur secrète de tout vrai croyant est la même. Elle est l’angoisse de perdre
la douce relation qu’il entretient avec son Sauveur, l’Epoux de son âme. Le
désarroi de Marie de Magdala, constatant le tombeau vide, en témoigne : « Ils
ont enlevé mon Seigneur et je ne sais pas où ils l’ont mis : Jean 20,13. » L’expression de la joie de la
communion retrouvée a l’altitude de la détresse issue de sa perte. Elle
peut chagriner les esprits conformistes par son exagération. Mais elle est à la
hauteur de l’évènement. Le boiteux de la Belle Porte n’entra pas dans le temple
comme les autres. Il marchait, sautait et louait Dieu : cf Actes 3,6. Qui se serait permis de le rabrouer, lui
qui, jusque-là, gisait à terre sans pouvoir se lever ? Ne reprenons pas
durement ceux que la grâce vient de toucher si leur joie les pousse à des comportements
peu conventionnels. Ils s’assagiront avec le temps. Réjouissons-nous plutôt
avec eux. « Car le frère que voici était mort et il est revenu à la
vie, il était perdu et il est retrouvé : Luc 15,32. »
Je vous en supplie, filles de
Jérusalem, par les gazelles et les biches des champs, ne réveillez pas l’amour
avant qu’elle le veuille.
Témoin du rêve de la jeune fille
et de son amour ardent pour l’élu de son cœur, son soupirant éconduit exprime
aux filles de Jérusalem la même demande que celle qu’il formule à la fin de la
première rencontre. Il est toujours possible de séduire une jeune fille dont le
cœur est libre. Mais quand celui-ci est déjà conquis, toute tentative de le détourner
de l’objet de son amour ne peut que se traduire par le rejet. Il n’y a qu’une puissance
qui, dans le monde, ait le pouvoir de changer du tout au tout la disposition
d’un cœur. C’est l’Esprit de Dieu. Alors que Saul de Tarse était réfractaire au
nom de Jésus-Christ, la grâce de Dieu a agi avec une telle puissance que, de
persécuteur de l’Eglise, il en est devenu le plus fervent promoteur. Dieu,
dit-il, l’a choisi dès le commencement pour monter en lui le premier toute sa
patience afin qu’il serve d’exemple à ceux qui croiraient en lui pour la vie
éternelle : 1 Timothée 1,16. Le rêve de la
jeune fille ne laisse ici planer aucun doute. Son cœur est une forteresse dans
laquelle son bien-aimé est jalousement gardé. Il n’y aucun interstice, aucune
ouverture par lesquels quelqu’un d’autre pourrait s’introduire. Que notre être
soit lui aussi, ô Dieu, tout entier pour toi !
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